Chapitre trois | Dilemme

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Andréa fixait le plafond, allongée sur sa couchette, les yeux grands ouverts. A force de compter les moutons, elle avait fini par perdre le fil, et ses pensées s'épanchaient désormais en une masse compacte, qu'elle ne parvenait pas à balayer. Pourtant, la jeune femme avait l'habitude de ne pas avoir des nuits reposantes, de cogiter durant de longues heures, seulement là, cela dépassait l'entendement. Elle avait beau remuer dans tous les sens le problème, aucune solution ne se présentait, ce qui avait le don de l'agacer. Carstein détestait cette sensation, vous savez, celle qui vous lie les pieds et les mains quand vous devez prendre une décision ?

Notre héroïne se trouvait dans ce cas de figure. Incapable de relativiser, la rousse se retournait dans son lit en grognant, à la recherche du marchand de sable qui ne semblait pas décidé à venir la chercher. Ses idées noires revenaient au galop, semblables à des monstres attendant le bon moment pour jaillir des fourrés pour la saisir, la happer de leurs crocs étincelants. La flamme des bougies dansait à la surface du mur, ombres sinueuses et longilignes ; ses prunelles s'accrochèrent à celle-ci, suivant ses mouvements aléatoires, images projectives et souvenirs de brasier. Alors qu'un visage de pierre apparaissait devant elle, l'étreinte glacée de Morphée l'accueillit, pour chasser ses ténèbres. Pour en amener d'autres, tout aussi redoutables.

* * * *

La doctoresse fit rouler ses épaules d'avant en arrière, habitée par la désagréable impression qu'on l'avait rouée de coups. Certes, elle avait passé un temps infini à trouver un moyen de s'endormir, mais rien expliquait ses lombaires endolories ni ses articulations enrayées. L'élancement de sa hanche gauche l'avait brutalement réveillée à l'aube, trempée de sueurs et la respiration haletante. Ce phénomène ne lui était pas arrivée depuis longtemps, ses étirements ne la soulageaient pas, comme si quelqu'un s'était amusé à planter des dizaines d'aiguilles brûlantes dans sa chair, et ce en continu. Andréa passa une main sur son visage, les yeux à demi ouverts à cause la luminosité éclatante.

Aujourd'hui, le bon temps était au rendez-vous, ce qui changeait des averses gelées des jours précédents. Dans la caserne, les soldats s'affairaient, couraient de partout, dans tous les sens, si bien que la cuivrée ne savait plus où donner de la tête. Il ne lui restait plus que Mike à l'infirmerie, les autres rescapés ayant tous pu reprendre des forces et soigner leurs blessures. Certains ne pouvaient pas repartir en mission de manière immédiate, mais au moins, tous étaient sur leurs jambes et avaient eu le moyen de regagner leur dortoir habituel.

Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire lorsqu'il ira mieux... Songea la thérapeute tandis qu'elle établissait une liste des produits médicamenteux qu'elle n'avait plus en stock. A cette pensée, elle battit des cils, le faciès sérieux d'Erwin ayant fait irruption dans sa mémoire. Ce qu'elle pouvait faire ? Lentement, elle pivota vers l'infirmerie, de laquelle ressemblait plus à un débarras qu'à un véritable dispensaire. Ils s'étaient contentés d'aligner des matelas à la va vite et d'étendre les blessés dessus, des tas d'objets inutiles s'entassaient dans le fond, signe que tout avait été installé dans la précipitation.

Elle s'adossa au mur, sa tasse de café fumante entre les doigts. Levée depuis les aurores, seule cette substance aux arômes corsés la maintenait éveillée, sans quoi sa somnolence lui aurait certainement joué des tours. Elle appréciait la caresse tiède du soleil, dont les faisceaux projetaient des taches dorées sur les flaques d'eau, se réverbéraient sur les surfaces métalliques. Le manège incessant des combattants l'intriguait, et comme dès que la rouquine s'attardait à contempler ce qui l'entourait, elle était envahie par ce sentiment déplaisant, la solitude. Elle était présente sans réellement l'être : comme si elle se tenait sur une plaque tectonique et eux sur une autre, et que chacune de leurs interactions s'apparentaient à une collision entre ces blocs.

Nos cicatricesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant