Andréa contemplait le ciel, assise sur un banc de pierre, son plateau-repas posé sur ses genoux. Elle appréciait le calme de la nuit, cette paix étrange que dégageait la voie lactée alors que la jeune femme suivait du regard le vol d'une hirondelle. Quand elle regardait les étoiles, il lui semblait que ses mauvaises pensées se dissipaient, comme si ces poussières blanches lui jetaient un sort. Au moins, la lune et ses novas ne la jugeaient pas, ne lui en demandaient pas trop – elles se contentaient d'écouter. D'écouter ses peines, ses désarrois, ses craintes.
Lorsqu'elle vivait encore à Mitras, et ce avant son accident, la rousse restait des heures allongée sur le toit de sa maison, à retracer les différentes constellations qu'elle avait répertoriées dans un de ses calepins. Carstein aimait apprendre, quel que ce soit le domaine ; de cette manière, durant son adolescence, elle avait lu un certain nombre d'ouvrages sur l'astronomie, dans le plus grand secret. Si jamais son père découvrait ses recherches, sans doute aurait-il brûlé le fruit de son dur labeur... Ces savoirs se tapissaient dans les grandes étagères de la bibliothèque royale, comme si leurs découvertes causeraient le déclin de l'humanité.
Admirer le firmament était pour la cuivrée un échappatoire. L'unique moyen de s'évincer de ces deux ombres qui n'avaient jamais souhaité qu'une chose venant d'elle : sa disparition. Seulement, était-elle réellement responsable de ce sombre destin ? A force de blâmes, la thérapeute avait accepté son sort. Elle, le fruit du démon, l'engeance maléfique détestée de tous. Avait-elle désiré une telle existence ? Ou bien, était-ce la fortune choisie par les dieux ? Était-elle coupable d'être une femme ? Sa mâchoire se contracta alors que ses cogitations revenaient au galop. Ce n'était la faute de personne, et certainement pas celle de sa mère. Sa mère qui avait tout fait pour se rattraper, pour se racheter auprès de ce père aux yeux de glace. Ce père qui, dans sa rage absolue et son statut de géniteur « Tout-puissant » l'avait condamnée.
Comme pour se venger d'avoir mis au monde une fille, son paternel choisit un nom ni féminin, ni masculin. Il lui avait bien dit : Comme ça, tu n'auras jamais une réelle identité. Tu n'aurais jamais dû naître. Mais je suis miséricordieux, alors tu vivras. Tu vivras dans l'inconstance, et je te rappellerais que c'est uniquement grâce à ma mansuétude que tu es parmi les vivants. Mener une vie certes, mais mener une vie sans réelle identité. C'était ainsi qu'Andréa s'était construite, en quête perpétuelle d'unité. A la recherche de qui elle était vraiment. Elle but une gorgée de sa soupe, ses prunelles menthe gelée rivées sur l'astre nocturne, dont les contours blafards projetaient une lueur argentée sur la caserne.
Si elle ne faisait rien, Carstein les entendaient. Ils ne se taisaient jamais : son père et son frère. Ses bourreaux. Pendant longtemps, l'auburn s'était demandé si ce n'était pas mieux qu'elle disparaisse, comme le désiraient si profondément ses tortionnaires ; pourquoi ne pas l'éliminer et prétendre un accident ? Ce genre d'évènements étaient pourtant courant, il leur suffisait d'embaucher un assassin qui la tuerait en silence. Un coup de couteau au niveau de sa carotide. Un coussin pressé sur son visage. Une corde passée autour de son cou. Les méthodes s'avéraient nombreuses et faciles, alors pourquoi ? La guérisseuse avait mis des années pour comprendre. Selon eux, elle ne méritait même pas ça : si elle devait disparaître, elle devrait le faire elle-même. Cela rendait la situation d'autant plus sadique et malsaine – et encore aujourd'hui, leurs propos la poursuivaient, tels des spectres vengeurs.
Sa révélation était arrivée un après-midi d'été, lorsqu'elle sauva un enfant. Ma mission, c'est de sauver les autres. C'était cette pensée, pourtant simple et absurde, qui avait sortie Andréa du gouffre dans lequel elle s'était plongé au fur et à mesure des années. Sa discussion avec Livai, après ses cours de premiers secours, avait ramené à la surface des démons qu'elle tentait d'enfermer dans un coffre. Accroché autour de son cou, son pendentif grelot teinta, la tirant de sa rêverie.
VOUS LISEZ
Nos cicatrices
AcciónAndréa est médecin dans un monde où le chaos règne en maître, où le sentiment prévalent est la peur. La peur d'être dominée par eux : les titans. Dans ce monde meurtri, Andréa s'acharne à réparer les âmes rencontrées. Même si la sienne est morcelée...