Chapitre 1.

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Cela la rassura de voir Duncan reprendre brusquement la route après avoir pris quelques secondes pour observer les alentours. Si elle avait du s’arrêter maintenant, jamais elle n’aurait pu se relever.

La halte au village, quelques heures après qu’ils soient sortis du tunnel n’avait pas été un franc succès. Le Garde des Ombres s’était contenté d’acheter avec quelques piécettes des manteaux capables de recouvrir leurs armures respectives, puis ils avaient repris leur chemin, grimpant le long du fjord, par l’ouest, pour sortir le plus rapidement possible des terres de Hautecime.

Le Commandant semblait espérer qu’une fois hors de la juridiction du tiernir, leur sécurité serait garantie, ce dont Valea doutait.

Elle lui avait bien suggéré de suivre la route de l’armée afin de rejoindre Fergus au plus vite, mais Duncan avait refusé, arguant de la certitude de la défection de son frère s’il venait à apprendre que Hautecime était tombée par félonie.

«-C’est un Enclin pour que le roi soit si soucieux de réunir la plus imposante armée dont il soit capable ?

-Non, je doute qu’il s’agisse d’un Enclin, avait répondu le Garde des Ombres.

-Cailan en fait toujours trop, maugréa t’elle.

-Vous connaissez bien le roi ?

-Oui. Et puis c’est un ami de mon frère, je le vois souvent. La dernière, c’était au tournoi. Je me souviens encore de son discours lors de la remise des trophées. »

Duncan s’était contenté de rire sous cape et ils avaient continué leur route sans prononcer un mot de la journée.

Trois jours après leur fuite, un bruit étouffé dans son dos mit les sens de Valea en alerte. D’un geste, elle indiqua à Duncan la direction d’où provenait le son suspect. Ils se rabattirent chacun derrière un arbre, près à recevoir leur poursuivant.

Se fut Bernatzal, recouvert de terre, de sueur et de sang séché, qui fit irruption au milieu du chemin.

«-Par le Créateur, fit Valea en se laissant tomber à genou devant le mabari qui lui lécha consciencieusement le visage.

-Ce chien est à vous ?

-Oui, c’est Bernatzal. Je pensais qu’il était mort. Il avait cessé de me suivre. J’ai cru que l’odeur du sang l’avait rendu fou.

-Au moins pouvez-vous tirer de tout ceci que votre chien n’est pas sensible à l’appel de la fureur. »

Ce que pouvait dire Duncan n’avait pas la moindre importance. Elle enfouit son visage dans le cou du chien et laissa couler ses larmes.

Elle avait cessé de compter les jours lorsqu’enfin, ils furent en vue de la cité d’Amaranthine, dont Rendon Howe était le maître et qu’ils traversèrent de nuit. Conformément au plan de Duncan, ils trouvèrent là un navire pour les embarquer jusqu’à la cité de Denerim.

La fin de l’été agitait la mer de ses vents forts. Bernatzal resta tout le long de la traversée allongé sur le plancher de la petite cabine de Valea, tandis que cette dernière arpentait le pont du navire.

Duncan ne se montrait guère et arborait la plupart du temps un teint verdâtre, lorsqu’il daignait se montrer dans les parties communes.

Un jour d’accalmie, il convoqua Valea pour commencer sa formation.

«-Que savez-vous des Gardes des Ombres ?

-Qu’ils sont nés pour combattre l’Engeance. On les recrute parmi la fine fleur des combattants, mais ils peuvent être de toute extraction et de toute spécialité. Je n’en sais guère plus.

-C’est déjà beaucoup plus que la plupart des jeunes recrues.

-Pourquoi mon père m’a-t-il précipité dans cette voie ?

-Il savait que vous ne le quitteriez pas sans une bonne raison. Son choix était radical, mais il vous connaissait bien.

-Parce que vous pensez que j’ai accepté de les quitter uniquement pour rejoindre la Garde des Ombres ? » Elle détourna la tête.

-Non. En revanche vous saviez que votre père tenait à envoyer quelqu’un de Hautecime dans nos rangs. Il avait accepté que Gilmore me suive, en remplacement de vous.

-En remplacement ?

-Jamais il ne vous aurait laissé partir. Pourtant vous étiez mon premier choix.

-Vous devez être ravi.

-Difficilement. Cependant, je me dois de garder à l’esprit que je suis le Garde Commandant et que je dois veiller au bénéfice de mon ordre. Ne croyez pas que je ne compatisse pas à votre malheur. Je sais qu’il vous faudra du temps. Profitez que nous soyons seuls pour faire votre deuil. A notre arrivée à Ostagar, vous serez directement plongée dans le bain.

-Nous n’allons pas séjourner un peu à Denerim ?

-Le roi m’attend dans le sud, où d’autres recrues seront présentes. Si les choses s’étaient passées comme prévu, j’aurais eu le temps nécessaire pour débuter votre formation et vous initier. Mais je crains que cela ne soit pas possible. Quant à Denerim, la commanderie est presque vide à ce jour. Tous les notre sont partis combattre l’Engeance.

-Que dois-je savoir sur la Garde des Ombres ?

-C’est un engagement sans retour. Il vous faudra aller jusqu’au bout.

-Jusqu’à l’Union ?

-Jusqu’à… Vous savez aussi cela ?

-J’avais un bon précepteur.

-Je n’en doute pas. Simplement, il n’est pas fréquent de rencontrer ici quelqu’un connaissant le nom du rituel.

-Selon vous, qu’est ce qui a bien pu pousser Howe à trahir mon père ? Demanda-t-elle soudain.

-Je l’ignore. Je ne connais guère vos deux familles. Je crois savoir qu’ils combattaient ensemble contre les Orlésiens ?

-Oui. Ils étaient comme des frères. Enfin je le croyais. Je l’appelais « oncle Rendon ». Mon foutu oncle Rendon. J’ai un ami un jour qui m’a dit qu’on avait tous un connard d’oncle quelque part. J’ai trouvé le mien. »

Ce brutal écart de langage amusa le Garde des Ombres, qui se ressaisit rapidement.

«-Vous trouverez votre frère à Ostagar. Lui et la justice du roi. Mais je me dois de vous rappeler qu’après cela, vous devrez renoncer à votre nom, votre titre, vos origines. Vous serez sœur de la Garde des Ombres. Ainsi nous lie notre serment. »

Quelques mots pour prendre la mesure de ce que l’on exigeait d’elle. Valea se sentit soudain vide, avec l’envie de remplir ce trou béant par un cri. Mais rien ne sortait. Sa main gauche, encore rougie, se mit à trembler. Elle la serra de l’autre, pour calmer les spasmes.

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