Chapitre 9 - Sukuna

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Elle savait au fond d'elle qu'elle avait eu une mère et un père, mais elle les avait chassés. Elle se souvenait d'eux, si elle faisait un effort, du temps où ils vivaient tous les quatre avec son frère ainé dans un petit village, dans une jolie maison pleine de plantes qui sentait le sucré et le bonheur. Elle se souvenait du gros plaqueminier dans le jardin, de son père qui la portait sur les épaules pour qu'elle puisse atteindre les fruits et qui lui disait de laisser les plus mûrs aux oiseaux pour faire perdurer le cercle éternel de la vie, de ne pas perturber les habitudes des volatiles et des insectes. Elle se souvenait des poules qu'ils avaient, des œufs frais tous les matins posés sur le riz blanc, du chat qui venait parfois se prélasser sur leur pelouse et qui tentait à chaque fois de rentrer chez eux, des libellules en été qui se posaient sur le rebord de sa fenêtre, du parfum qui embaumait le salon quand ils étendaient du linge, du chant des cigales la nuit et de la vue dégagée du ciel sur l'océan. Elle avait eu des jouets, principalement en forme d'animaux et des bâtons de bois qu'elle empilait pour faire des tours qui lui paraissaient gigantesques. Il y avait des tapis en forme de fleur dans sa chambre, sur lequel elle aimait se prélasser et lire, les draps blancs qu'elle salissait presque toutes les nuits à cause de ce qu'elle croyait être des terreurs nocturnes, de la porte qui avait été recouverte de peinture, parce qu'un jour elle s'était retrouvée sans surveillance avec des pinceaux à la main et pleins d'idées en tête ; les murs avaient été épargnés de justesse. 


Sa mère. Elle pensait à elle. Cette minute était la sienne. Elle parvenait à peine à se rappeler de son visage, sa voix s'était effacée. Il lui semblait se souvenir de quelques expressions, mais étaient-elles vraiment les siennes ou les avait-elle reconstruite après toutes ces années, pour meubler le vide de son absence ?  Il y avait son sourire, immense. Ses grands yeux bruns qui prenaient la couleur des érables japonais d'automne lorsqu'ils faisaient face au soleil, d'une couleur si profonde qu'ils paraissaient rouges et ses cheveux de jais qui chatouillaient lorsqu'elle l'embrassait, rebiquaient lorsqu'elle n'en prenait pas soin. Ses cheveux noirs qui prenaient les mêmes reflets que ses yeux à la lumière et qu'aucune mèche blanche ne venait ternir, comme si le temps n'avait eu aucun impact sur elle. 

Et son père. Son portrait craché, celui de son frère aussi ; comment oublier son visage, sa voix, quand on en portait les traces quotidiennes ? Sa tête qui basculait étrangement, quand il jouait du kokyuu, ses paupières qui se fermaient et ses sourcils qui se fronçaient sous l'effort de concentration. Et sa façon de la gronder, de relever légèrement le menton, son incapacité à hausser le ton et à se montrer autoritaire. Ce secret qu'il avait partagé avec sa compagne sans jamais en parler à leurs enfants. 

Il y avait leur amour. Doux, tendre comme le beurre, beau comme un coquillage exposé à la lumière du soleil et lavé par la mer. Pur. Inconditionnel malgré quelques disputes. Ils s'étaient aimé à la vie et à la mort aussi. 

Et l'accident, comme l'appelait son père, bien que chacun sache qu'il ne s'agisse pas d'un malheureux concours de circonstance, mais la vérité était bien trop dure à expliquer. La voiture, la mer, la plongée. L'absence de corps auquel se raccrocher. L'empêchement d'un deuil complet. Le maque de rite funéraire, qui leur avait coûté si cher. Pas de veillée funèbre. Pas de matsugo no mizu, l'eau bénite déposée sur les lèvres pour permettre au corps de se réincarner ; pas de makura-kazari, la décoration de l'oreiller avec de l'encens, des bougies et des fleurs pour consoler l'âme partie trop tôt. Le juzu, chapelet bouddhiste, n'avait pu être placé entre ses mains pour lui permettre d'atteindre la vertu. La tradition exigeait que l'on place un couteau sur sa poitrine pour éviter aux mauvais esprits d'approcher son âme et sa future famille, il n'y en avait pas eu non plus. Pas plus que le sac rempli de pièce pour lui permettre de traverser le Sanzu-no-kawa, fleuve de la mort situé entre le monde des vivants et l'autre monde. Aucune incinération, aucune inhumation. Son âme, selon les lois bouddhistes, ne méritait ni repos, ni réincarnation et l'enfant n'avait pu s'empêcher de penser que sa mère resterait coincée à jamais entre les deux mondes. Un moine était venu, mais malgré les prières, il n'avait rien pu leur garantir. 

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⏰ Dernière mise à jour : May 18, 2021 ⏰

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