28 septembre

88 11 7
                                    

28 septembre 1944, Bianca

C'était d'une allure tremblante que je traversais les rues de la ville. Je venais de partir de chez Reyna, elle m'avait fait un plan et donné un sac avec des vivres. J'y avais rangé les mots de Nico et c'était la tête vide que j'étais partie. Je ne savais plus quoi penser ni espérer. Je savais que je n'avais plus aucune chance de retrouver Nico mais cette idée ne voulait tout simplement pas entrer dans ma tête. Je marchais machinalement sans savoir vraiment que je marchais. Toutes ces questions se bousculaient dans ma tête dont une qui revenait. Pourquoi moi ? Pourquoi suis-je la seule encore en vie ? Pourquoi Mama, Nico, Zoë, Percy, toutes ces personnes qui sont mortes pendant la guerre et pourquoi pas moi ? Je ne savais déjà plus où j'allais. J'avais quitté la ville et tous mes repères. J'ignorais quelle heure il était. Je n'arrivais même plus à réfléchir. Ma tête me tournait. Je devais faire de gros efforts pour ne pas fondre en larmes.

Les passants ne réagissaient pas en me voyant, exceptés certains qui changeaient de trottoir. C'était devenu habituelle de voir des personnes errer dans les rues, complètement perdues. On n'y faisait plus gaffe. C'était devenu banal. Tout comme la mort d'ailleurs, nous y étions tellement confrontés que c'était normal, on se demandait simplement quand sera notre tour. Pourtant, dès qu'il s'agit d'un proche, on ne s'habitue jamais. La douleur est là, puissante, devenant notre seul guide. Nous ne vivons que par cette douleur qui ne disparait jamais vraiment. Nous apprenons juste à vivre avec. Mais je ne suis pas sûre de pouvoir un jour m'habituer à toutes ces pertes. Je sais bien que plus rien ne sera jamais plus comme avant, nous ne serons plus jamais réunis tous ensemble. Cette guerre m'a tout pris, elle a tout brisé en moi. Je ne sais même pas pourquoi je marche. Pour aller où ? J'étais perdue. Cela faisait bien longtemps que je ne suivais plus le plan de Reyna. J'avais la tête tellement vide que j'en oubliais d'être prudente. J'oubliais la Gestapo à mes trousses, j'oubliais ce gendarme à la sortie de la ville, de toute façon, plus rien n'avait d'importance. Je n'avais même plus le courage de pleurer, à quoi cela servait ? Je voulais juste me coucher par terre et dormir, ne plus jamais me réveiller. Mais malgré tout, je continuais à marcher. Pourquoi ? Je ne dirigeais plus mon corps, il choisissait pour moi. Toutes ces personnes qui m'ont aidée, tout a été vain. Je n'imaginais pas que ça se terminerait comme ça. Dire qu'il y a une semaine à peine, je riais encore, j'étais pleine d'espoir, j'ai du mal à y croire. Je suis maintenant vide, même un sourire serait trop me demander. Je ne veux pas jouer la comédie, je n'en ai plus la force.

Un enfant vint vers moi et me demanda quelque chose. Je fronçai les sourcils. Les sons ne me parvenaient plus. Que voulait-il de moi ? Je clignai des yeux pour revenir un peu à la réalité. Je repris conscience des passants, j'entendis vaguement le bruit des voitures sur le pavé. Je demandai alors à l'enfant de répéter.

- S'il vous plait, Mademoiselle, vous n'auriez pas de quoi manger ?

Sa voix était malheureuse et ses couches de vêtement cachaient mal son corps affamé. Sûrement un orphelin jeté à la rue comme tant d'autres. J'hochai lentement la tête et sortis mécaniquement du pain de mon sac. Je le lui tendis et repartis, ne prenant même pas le temps de voir son sourire radieux me remerciant. 

Je continuai alors mon chemin. Je prenais des rues au hasard, ne me rendant même pas compte quand je tournais en rond. Après un moment à m'enfoncer dans la ville, j'ignore dans laquelle je me trouvais, je lâchai un hurlement et shootai dans un mur avant de me laisser tomber par terre. Je repliai mes jambes contre moi et pleurai. C'était à ce moment que je me suis dit que je devais me reprendre en main. Je respirais difficilement et étais secouée de sanglots. Je ne devais pas abandonner si facilement, ça ne me ressemblait pas, je ne baissais jamais les bras. Je me relevai lentement en serrant les poings. Même si mon visage était baigné de larmes, je devais rester digne et forte. Rien ne prouvait que Nico soit mort. Artémis a été sauvée, j'avais déjà réussi une partie de ma mission, je pouvais la terminer. Je devais marcher vers l'Est sans m'arrêter. Je pris une bonne inspiration et commençai à avancer. Je regardai en l'air, déterminant la direction à prendre grâce à la position du Soleil. Une fois fait, je continuai à marcher avec une seule idée en tête, Nico était vivant. Je me jurai de ne plus abandonner ni de me laisser aller. Je pourrai laisser libre court à mes états d'âme une fois en Angleterre mais en attendant, je devais avancer la tête haute. Nico m'attendait, il me le promettait dans ses lettres. Il devait rester en vie, je lui interdis de mourir. Je jure que s'il ose mourir avant moi, je viendrai moi-même le chercher et le ramener. Je le devais pour lui et pour Mama. 

La ville fit bien vite place à la campagne. C'est à peine si je prêtais attention à la beauté du paysage. Je n'avais qu'un objectif en tête et rien de m'en détournerait. C'était la seule raison qui me faisait encore marcher en ce moment même. J'étais tellement concentrée sur mon objectif que c'est à peine si je vis la voiture noire rouler au loin. Je ne prêtais attention à rien à pars ma route. Un petit ruisseau longeait mes pas et m'apaisait par le bruit de l'eau qui coule. Il faisait étrangement calme hors de la ville. En ville, le calme n'est jamais bon signe, toujours accompagné d'une mauvaise nouvelle. Alors, malgré moi, je sentais un malaise face à ce silence pourtant reposant.

Le soleil commençait doucement à décliner quand j'atteignis un petit village. Les rues étaient vides, on aurait presque pensé à une ville fantôme sans les éclats de voix venant de l'intérieur des bâtisses. Je ne savais pas combien de temps je devrais encore marcher, j'ignorais ma destination. Je ne savais même pas si elle se trouvait en Italie. Mais une chose est sûre, je ne voulais pas perdre mon temps avec les couvres feu. J'ignorai ma fatigue et le soleil presque disparu à l'horizon pour continuer ma marche. Plus rien ne me faisait peur, plus rien ne me rattachait sur Terre. J'avais beau espérer revoir mon frère, je ne me faisais pas d'illusion. Un bruit attira mon attention. Je tournai la tête vers sa provenance et remarquai de nouveau une voiture noire roulant doucement à quelques rues d'ici. De nouveau, je n'y fis pas gaffe et continuai mon chemin. J'ignorais où j'allais, je tournais un peu en rond sans vraiment m'en rendre compte. Je ne sentais pas le danger approcher. Enfin plutôt, je n'y accordais aucune importance. Une ombre passa près de moi mais je ne pris même pas la peine de tourner la tête. J'avançais toujours, complètement vide, plus aucune émotion ne me traversait. C'est à peine si je réagis en sentant le métal froid contre ma gorge.

- Tu pensais t'en tirer aussi facilement, Ricana une voix maintenant familière.

Je déglutis, ne répondant rien. J'avais beau ne plus vouloir rien ressentir, une vague de stresse monta malgré tout en moi.

- Nous n'avons pas été bernés par ton petit manège, nous sommes la Gestapo, nous retrouvons toujours notre cible et cette fois-ci nous ne serons pas aussi gentil. Tu as tué Strauss, tu ne mérite que le même sort.

La nuit de la mort de Zoë me revint en tête et je dus faire d'immenses efforts pour ne pas pleurer. Je n'avais plus peur de mourir, je pensais à toutes les personnes que je rejoindrai enfin. Je retrouverai finalement mon frère. Alors c'est donc ça le terme de mon voyage pour que l'on soit enfin réuni ? Puis une idée me frappa, je ne reviendrai jamais auprès des chasseresses afin de les rejoindre mais pire encore, je ne tiendrai pas ma promesse à Hazel, je ne reviendrai jamais la voir. Une unique larme roula sur ma joue alors que je sentis un coup sec contre ma gorge et mon corps s'effondrer à terre. Je n'eus pas le temps de formuler la moindre pensé que déjà tout devint noir. Je suis désolée, Hazel, je ne te montrerai jamais mon pays.

***

(Pdv externe)

Quelque part au loin, dans un autre pays, un enfant se leva un sursaut, sentant un lien se briser en lui.

- Bianca, c'est toi ?

Je T'attendrai... - SolangeloOù les histoires vivent. Découvrez maintenant