« Mademoiselle ! Mademoiselle ! »
Estrella laissa échapper un soupir et repoussa une longue mèche noire de son visage. Étendue sur son lit, elle fixait sans vraiment le voir le baldaquin au-dessus d'elle. Des centaines de petites étoiles argentées parsemaient le tissu bleu nuit ; elle n'avait jamais réussi à toutes les compter.
Madame Maysie, sa gouvernante, passait l'essentiel de son temps à lui inventer des occupations. Comme si elle menait une vie normale et que s'habiller élégamment, répéter son piano ou réviser l'histoire du royaume de Reyliss pouvait encore avoir une importance.
La jeune fille se redressa à demi, appuyée sur un coude, et regarda autour d'elle : quand elle avait emménagé, les murs de la chambre avaient été retapissés en couleurs pastel ; un nouveau mobilier, laqué de blanc, avait été commandé pour l'occasion. Sa famille s'était efforcée de rendre son séjour agréable. Sans doute aurait-elle dû en être reconnaissante. Elle portait de belles tenues et pouvait obtenir – quasiment – tout ce qu'elle demandait. En plus de madame Maysie, deux bonnes et une cuisinière demeuraient à sa disposition. Un jour par semaine, elle montait dans le train avec sa gouvernante dans la direction de Cilla, la ville la plus proche, pour y passer une après-midi complète.
Ses parents et sa sœur se donnaient la peine, au moins une fois par mois, de lui rendre visite – même s'ils restaient juste assez longtemps pour prendre le thé.
Mais rien ne pouvait changer sa terrible situation : elle avait été exilée ici, dans la campagne de Gallantide, au fin fond de Reyliss, parce qu'elle représentait une disgrâce pour sa famille.
Estrella était une Incolore.
La pire des conditions pour une représentante des Héritiers.
« Mademoiselle ! »
La jeune fille se décida à se lever et se dirigea, à contrecœur, vers la porte de sa chambre. C'était l'un de ces jours où elle n'avait qu'une envie : fuir cette demeure, regagner la capitale et clamer devant toute la bonne société de Reylissane qu'elle n'avait jamais été malade, comme le prétendait sa famille... et tant pis pour la précieuse réputation des d'Outremont !
Elle fila dans le couloir et vola dans les escaliers, en relevant son ample jupe marine et ses jupons blancs. Une fois en bas des marches, elle aperçut la petite femme boulotte qui l'attendait à côté de la porte du salon. Elle s'arrêta net, une main pressée sur sa bouche pour éviter que madame Maysie n'entende son souffle un peu haletant. Elle n'avait pas besoin de compagnie.
D'un pas aussi discret que possible, Estrella bifurqua sur la gauche, vers la sortie qui donnait sur l'arrière de la demeure : au-delà de la grille, un chemin s'en allait à travers les bois. Jamais, en près de trois ans, elle n'avait passé seule les limites de la propriété. Son désespoir initial s'était mué en une sorte d'apathie qui la retenait sur place, plus efficacement que n'importe quelle serrure. Elle avait pris en horreur la campagne tout autour du manoir, qui symbolisait à ses yeux son exil.
Mais aujourd'hui, c'était différent : elle avait l'impression de contempler ce paysage pour la première fois. Peut-être à cause du soleil qui brillait, des fleurs que le printemps avait fait surgir des talus. Des papillons voletaient autour des haies habitées de chants d'oiseaux. La nature entière conspirait à l'attirer au-dehors !
« Mademoiselle ! »
Ce dernier cri la décida à quitter sa prison et à s'aventurer sur le chemin. Certes, elle n'était pas vêtue pour une promenade à la campagne, avec sa longue robe à col haut bordé de dentelle et à manches bouffantes. Sa chevelure noire avait été remontée en une coiffure élaborée, fixée sur le côté droit de sa tête par une barrette argentée en forme de papillon.

VOUS LISEZ
Light and Dark Erastria - I - Le lien [terminé]
FantasySitué entre Penumbra, le royaume de l'Ombre, et Lucid, celui de la Lumière, le monde humain d'Erastria s'est depuis longtemps affranchi de ses puissants voisins. Dans le royaume de Reyliss, les Héritiers, des lignées de mages qui ont jadis reçu la L...