ROYAL ( Chroniques d'un souverain en herbe)

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La clameur populaire emplissait la grande cour et s'étendait jusqu'aux portes de la cité. Les yeux de Damaëlla étaient grands ouverts, elle ne parvenait pas à cacher son effroi. Ceux d'Azurin l'étaient aussi, il ne parvenait pas à cacher sa surprise.

Des hourras, des hourras s'élevaient de sous le balcon et montaient jusqu'à eux. Le peuple criait, il ne hurlait pas de colère mais criait sa joie, la fourmilière était en liesse.

Une voix fantôme s'éleva, elle sonna forte dans le tumulte, elle s'écria : longue vie au roi.

Le peuple se mit à scander: longue vie au roi, longue vie au roi, longue vie à Sa Majesté Azurin.

Azurin, le concerné, lui, n'en revenait pas. Mais enfin que se passait-il? Il rêvait, ces gens, tous ces gens l'acclamaient, ils glorifiaient son nom.

Son nom? Mais, ils connaissaient son nom! Comment cela se pouvait-il ? Ils n'étaient même pas censés être au courant de son existence. Alors comment ?

Parmi les hourras et les vive le roi, certaines voix gaillardes se détachèrent du lot, leurs paroles arrivèrent aux oreilles des nobles qui semblaient à la princesse aussi abasourdis qu'elle.

- Regardez ses yeux. Quelle bleue!
- La rumeur disait vrai, c'est la réincarnation de Sa Majesté.
- On dit que c'est Énantion qui le lui a donné pour fils.
- La famille royale est là, elle le soutient donc.
- Il est béni par les dieux. Longue vie au roi.

Alors ça non, Éon ne pouvait pas le supporter. Lui, resté en retrait jusque-là, s'était calmé et avait contenu sa colère car il espérait que l'autre se fasse lyncher.

Il n'était pas là parce qu'il le soutenait mais bien parce qu'il y était obligé.

La rage emplissait son cœur, encore, il serra les poings, il voulut avancer mais une main ferme lui tint le bras. Il fusilla son aîné du regard.

- Lâche-moi immédiatement, murmura-t-il en serrant les dents.

- Calme-toi, je t'avais pourtant prévenu. Nous ne sommes pas en position de force ici.

- Il n'empêche point que cela n'est pas normal, intervint alors Damaëlla qui avait reculé pour rejoindre ses frères. Ils savent qui il est, tu n'as semble-t-il pas rempli ta mission.

- Elle a raison, tu as toi-même dit que nous devions compter sur l'élément de surprise et pour ça tu étais censé surveiller Jelling pour éviter qu'il communique au peuple des informations.

- Et c'est ce que j'ai fait. Il n'a pas quitté l'enceinte du domaine, ni lui ni ses apprentis. Les autres membres du Grés ne sont arrivés qu'hier, ils n'ont eu le temps de rien faire.

- À moins qu'il ait agi avant, intervint à son tour Cyprés.

- Non le détrompa sa sœur, c'était prendre le risque que l'information ne s'ébruite avant même qu'Azurin ne pénètre ici, trop dangereux pour leurs plans.

Éon commença à chercher cette vielle chouette de Jelling des yeux, il le trouva juste derrière l'imposteur qui faisait crier la foule encore plus fort en saluant avec un grand sourire et en leur jetant des fleurs.

Il grinça des dents, mais reporta son attention sur le vieux prêtre, ses frères aussi. Il fixait le nouveau roi, mais ses yeux glissèrent subrepticement vers eux au travers des coins, il afficha un demi-sourire, il se moquait d'eux. Mais soudain il tourna sa tête vers la gauche, ils suivirent son regard et tombèrent sur leur mère.

Poings serrés sur sa longue robe blanche, elle semblait absente, ses yeux d'Émeraude étaient tranchants et n'étaient pas portés sur Jelling. Visiblement leur mère avait déjà compris, elle, qui était responsable. Elle fixait la première duchesse, Fédora de la maison Édafos.

Celle-ci la fixait tout aussi intensément, mais avec bien plus de malice, elle tenait là sa première vengeance.

Les nobles aussi se regardaient, personne ne l'avait vu venir celle-là. Les princes durent se séparer, leur petit conclave fraternel commençait à attirer l'attention. Et dans ce tourbillon de regards en coin et de messes basses, Cyprés fut le seul à voir qu'Azurin avait jeté deux ou trois coups d'œil en arrière, captant leur petit manège.

Soudain le silence se fit, les nobles reportèrent leur attention sur l'attraction principale de la journée. Là, devant eux, un jeune roi avait posé le genoux à terre, le regard baissé, nul parole ne sortait de sa bouche. Son peuple pourtant le scrutait l'air en transe, subjugué par ce geste, il éclata à nouveau de joie.

Bientôt les fleurs furent finies et ce fut l'heure de reconduire le peuple hors du domaine. Pendant ce temps les nobles rentraient dans le palais, leur roi en tête. Jelling resta le plus en arrière, de même que la première duchesse.

- Vous avez été fort efficace ma chère, je ne m'attendais pas à un tel résultat.

- Je n'ai aucun mérite, les documents que vous m'avez fourni et sa ressemblance plus que troublante avec son père ont fait tout le travail. Moi je n'ai fait que distiller quelques rumeurs.

- La réincarnation du roi, répéta Jelling en riant.

- J'admets que mon imagination s'est un peu emballée.

- Certes, certes, mais dans tous les cas, surveillé comme je l'étais, sans votre aide je n'aurais rien pu faire.

- Sans doute, finit la duchesse en s'éloignant.

Fies-toi au Paon. C'était la troisième des instructions de son père.

Cela signifiait-il que la duchesse d'Óchra était de son côté ? Visiblement oui, c'est elle qui a orchestré tout cela.

Sa discussion avec Jelling sous l'arbre et le regard assassin de sa belle-mère ne mentaient pas. Soit, il en tiendrait compte, après tout ce n'est pas lui qui allait s'en plaindre. Le peuple lui était désormais acquis, du moins celui de la capitale.

Il avait tout vu, les regards, il avait entendu les murmures, il commençait à comprendre même si c'était encore flou. En suivant les domestiques et en sortant par l'arrière de la salle, il esquissa un sourire mutin, il se dessinait enfin dans son esprit une idée de plan.