1. Orage

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                                                                    .oOo.                                                                                    

      1er jour du 2ème cycle d'Énant.
                                                     An 506 du calendrier andorrien.

Les quatre équidés couraient à bride abattue sur la route rocailleuse, leurs sabots martelaient le sol au rythme de leur respiration devenue frémissante. Leurs muscles, sollicités à l'extrême, se contractaient et se rétractaient suivant le rythme imposé par la course.

La pluie tombait sur leur robe noire et faisait jaillir de leurs naseaux une vapeur glacée. Le fouet s'abattait à un rythme régulier sur leur peau nue. Le coche, insensible à leur complainte, faisait sortir d'eux des hennissements furieux à chaque coup qu'il donnait.

Seule l'ombre se dessinant dans la nuit sans lune constituait une source de soulagement, l'atteindre signerait la fin de leurs souffrances.

Dans l'habitacle qu'ils tiraient à la force de leurs jambes à travers la pénombre, une indicible douleur étreignait le cœur de ses occupants, le comprimant, embrumant leurs esprits, les plongeant dans la tourmente. Le choc, pourtant attendu, avait été brutal.

Les deux princes peinaient encore à s'en remettre, la nouvelle, tombée comme un couperet, les avait déstabilisés. Ils avaient dû quitter le port dans l'urgence, abstraction avait été faite du protocole, car nul escorte ne les accompagnait.

La bougie contenue dans la fiole suspendue par une fine chaîne d'étain dispensait une lumière pâle, sa flamme vacillait sous le souffle du vent qui s'engouffrait malgré les épais rideaux. Elle dansait et projetait un jeu d'ombres sur les visages des passagers déjà pourtant bien sombres.

Cyprès observait son aîné, malgré la faible lueur, il parvenait à identifier les traits de son visage.  Affichant une expression soucieuse, ils étaient tirés en une moue contrite, sa mâchoire carrée ne cessait de bouger au rythme de ses grognements, ses cheveux bruns coupés court et fixés à l'huile de prune brillaient sous la lumière vacillante. Seules quelques mèches rebelles lui tombaient sur le visage, leur noir contrastait avec son teint hâlé, elles encadraient ses yeux gris qui fixaient les coussins violets de la banquette opposée à la sienne, mais il était presque certain qu'ils ne les voyaient pas, perdus dans la contemplation d'on ne sait quel cauchemar. 

 Il avait toujours été aisé pour tous de savoir l'instant où le prince puîné réfléchissait. Quant à savoir sa pensée, Cyprés, lui, n'était point devin. Mais sans doute spéculait-il sur les difficultés qui les accueilleraient une fois chez eux.

Le cerveau de Cyprès aussi fonctionnait à vive allure. Tournant et retournant les informations dont il disposait. Réfléchissant au prochain évènement et aux remaniements qu'il entraînerait. À même pas vingt ans, serait-il prêt à affronter tout ça ?

Comme il avait hâte de revoir sa grande sœur, elle, elle saurait apaiser ses craintes, effacer ses doutes.  Mais en attendant, il était ici, avec le frère qu'il appréciait le moins et qui ne semblait point enclin à discuter, le laissant ainsi seul avec ses pensées assassines.

Il décida de briser l'accord tacite de silence qui s'était imposé lorsqu'ils avaient pris place dans le véhicule.

- Je me pose la même question depuis notre départ. Elle s'impose à moi et obstrue mes pensées. J'imagine que cela doit être la même chose pour toi.

ROYAL ( Chroniques d'un souverain en herbe)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant