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3ème jour du 2ème cycle d'Énant.
                                                    An 506 du calendrier andorrien.

Les nuages crachaient des trombes d'eau sur la ville et la brume enveloppait la cité de son manteau opaque, les filets aqueux glissaient sur les maisons aux toits de tuiles rouges et dévalaient la surface des grandes tours d'Ivoire qui semblaient pleurer leur bâtisseur. Le ciel lançait une terrible complainte, le dieu Énantion pleurait le roi.

Tous le pleuraient. Les habitants lançaient leurs gémissements à l'assaut du palais, du domaine royal, où l'on enterrait leur souverain. La cloche sonnait à un rythme régulier, au rythme de la tristesse qui emplissait les cœurs de tous ces gens.

Derrière la forêt du domaine, s'étendait une longue allée de pierres blanches bordée de grands chênes, symbole de la famille royale. Elle s'ouvrait sur un immense jardin fleuri où se dressaient de grands tombeaux qui lançaient leur marbre vers les nuages furieux. Véritable mausolée à ciel ouvert où le caveau du roi venait retrouver celui de son père et de ses ancêtres.

Une immense bâche soutenue par des barres de fer disposées en cercle avait été dressée là pour protéger les nobles de la pluie qui s'abattait.

Deunève, dans sa robe de soie noire, les traits tirés en une moue soucieuse, regardait s'achever l'élévation du tombeau de son défunt époux d'un œil distrait.

Son frère à son côté, l'observait la mine contrite, il était aisé de remarquer qu'elle n'était pas avec eux. Ses cheveux blonds tressés en un épais chignon perlé, sa fine bouche rosée mais pincée et ses sourcils arqués avaient toujours concouru à lui donner un air sévère et ce depuis leur enfance. Mais ses yeux ne brillaient pas de leur tranchant habituel, leur émeraude était perdue dans la contemplation de l'avenir qui attendait ce royaume.

En même temps qui pourrait lui en vouloir, son esprit avait tant à traiter. Pressée par le Grés, elle avait dû annoncer le couronnement du prochain roi sous trois jours. La période de deuil serait courte.

Une fois cet enterrement terminé, une terrible joute allait commencer et il ne saurait dire qui allait l'emporter. Lui, réfléchissait quoi répondre à sa sœur, elle viendrait lui demander son soutien. Mais pourra-t-il, devrait-il le lui donner ?

Il n'eut plus guère le temps d'y réfléchir car il lui fallut avancer à son tour, il s'approcha du tombeau de son beau-frère et y déposa la feuille de cèdre. En se retournant il vit s'approcher la duchesse d'Óchra. S'il ne se trompait guère, elle se trouvait au palais il y a cinq jours à peine, elle avait presque dû rebrousser complètement chemin pour revenir, elle avait dû être bien embêtée la pauvre.

Une fois que les nobles furent tous passés devant le tombeau du roi, ses quatre enfants s'approchèrent eux aussi, leur mouvement sortit la reine de sa transe et elle se plaça derrière eux. Ils déposèrent sur la tombe de leur père le maïs, l'orge, le blé et le riz, symboles des quatre principautés mais aussi de la prospérité du royaume, ode à la terre nourricière qui accueillait leur père.

Tous, comme leur mère, drapés de noir, ils se prirent par la main, se soutenant les uns les autres. La tristesse se lisait sur leurs visages, mais ils devaient rester dignes. Après un moment, Nédyn se dégagea et alla vers Jelling qui tenait une petite boîte de fer blanc qu'il ouvrit. Il en sortit un grand sceau de bois noir en forme de grand chêne ramifié qu'il tendit au prince qui le trempa dans l'encre que lui présentait un assistant, il s'approcha du tombeau et apposa le sceau. Ultime hommage au défunt qui normalement était réservé à l'héritier.

ROYAL ( Chroniques d'un souverain en herbe)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant