IV.

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Lorsque les discussions se tarissent un peu, Kiara commence à ranger tout ce qui a été déballé pendant la soirée. Dès que je la vois faire, je lui viens en aide. Bien vite, nos deux autres compères suivent le mouvement et s'activent à leur tour. C'est en un rien de temps que tout est remis en ordre.

Il est déjà bien tard et la fatigue en moi se fait sentir.

Debout en plein milieu du salon, je regarde discrètement les occupations de chacun. Ce n'est pas par curiosité, c'est simplement parce que je ne pourrais pas me résoudre à quitter les lieux tant que je ne serais pas certain de ne plus avoir la moindre utilité ici.

Millie qui chancelle légèrement est la première à s'éclipser dans sa chambre. Elle n'est pas ivre, mais l'effet de l'alcool commence à se faire sentir sur elle.

Si cette personne oscillante avait été mon père, je l'aurais aidé à se coucher, mais la blonde interpréterait sans doute avec effroi une telle initiative. Je surveille donc simplement son ascension prêt à intervenir, jusqu'à ce que sa porte se ferme derrière elle.

Mon amie, quant à elle, parcourt des yeux son portable.

Je jette un regard circulaire pour trouver mon troisième colocataire et l'aperçois dans mon dos. En une fraction de seconde, sa silhouette massive arrive à ma hauteur.

Il reste un instant silencieux et tout aussi statique que moi. Sans doute a-t-il du mal à savoir comment m'aborder. Lorsqu'il se décide enfin, c'est pour me déclarer :

— Pour ma part p'tit gars, je vais me coucher. Tu viens ?

Ces quelques mots sont accompagnés d'une tape dans mon dos qui se veut amicale ; or la douleur que me provoque ce contact me fait perdre légèrement contenance. Mes épaules s'affaissent un peu plus, comme si le poids du monde s'était concentré sur ce simple geste.

Je tente de cacher la souffrance qui me terrasse et me redresse à la hâte, mais la subtile plainte qui sort involontairement de mes lèvres, elle, ne passe pas inaperçue.

Le brun se déplace aussitôt pour me faire face. Il se courbe et investit mon espace vital pour mettre son visage à ma hauteur. Je suis forcé de le regarder dans les yeux quelques secondes, le temps qu'il inspecte avec minutie mes réactions. J'essaie de réprimer les sensations que j'éprouve à ce moment précis. Je pense être plutôt convaincant concernant ma douleur toujours lancinante au possible, mais pas pour la gêne que cette expertise provoque en moi. Je finis d'ailleurs par me détourner, incapable d'en supporter davantage.

Le latino m'interroge alors sceptique :

— Je t'ai fait mal ?

Je hoche la tête à la négative pour lui signifier que ce n'est pas le cas.

J'imagine une seconde qu'il va passer son chemin et ne pas s'attarder là-dessus plus longtemps, mais il insiste :

— Tu es sûr ?

Kiara qui est notre spectatrice depuis le début de cette conversation intervient soudain :

— Noa est un petit gabarit comparé à toi. Ne t'a-t-on pas appris à ne pas faire de remarques désobligeantes sur le physique des autres ?

Elio se redresse surpris de cette attaque gratuite et se défend :

— À quel moment ai-je été désobligeant ?

Mon amie qui je le sais, tente de m'aider, lance sur un ton faussement amusé :

— Quel homme aimerait avouer qu'une simple tape dans le dos l'a fait souffrir ! C'est atteindre à sa virilité personnelle de reconnaître une chose pareille. N'insiste pas où tu vas vexer notre petit Noa.

Son argumentation est certes infondée, mais bien trouvée. Il est vrai que mon ridicule mètre soixante pour cinquante kilos me place comme elle l'a dit précédemment dans la catégorie des petits gabarits. Le brun qui lui, fait bien trente centimètres et vingt-cinq kilos de plus que moi, est une réelle force de la nature. Il aurait été plausible que ce coup mal calculé dans sa puissance engendre une légère douleur dorsale, même si c'est bien loin d'être la véritable raison de ma souffrance.

Pour couper court à la conversation, Kiara annonce qu'elle est épuisée et s'enfuit dans sa chambre.

Le latino s'élance à son tour vers le couloir qui mène à notre propre pièce. Je le suis de près et ferme la porte derrière nous.

Lorsque je me retourne, je suis surpris du spectacle improbable qui se joue devant moi. Sans la moindre réserve, mon colocataire se dépouille de ses vêtements les uns après les autres. Je suis totalement sous le choc. Nous ne nous connaissons que depuis quelques heures et cela devrait refroidir ses ardeurs. J'avais imaginé qu'une pudeur implicite s'imposait, mais apparemment le brun ne se sent pas gêné outre mesure et ne s'appesantit pas de ce genre de détails.

À mon grand soulagement, son effeuillage se stoppe rapidement et son sous-vêtement reste bien en place.

Je n'ai jamais vécu avec qui que ce soit et je ne suis pas coutumier des règles de bienséances que cette proximité forcée implique. Malheureusement en le fixant comme je viens de le faire alors qu'il se déshabillait, j'ai sûrement transgressé l'une d'entre elles sans le vouloir.

Je détourne les yeux en espérant ne pas avoir été découvert, mais la voix du brun qui raisonne m'oblige à regarder de nouveau dans sa direction :

— Je dors toujours à poil d'ordinaire.

Horrifié par ces dires, je sens le sang me monter jusqu'aux oreilles. Je suis sur le point de fuir de la pièce, quand le latino qui se glisse sous les draps me lance en riant de bon cœur :

— Waouh, ne te mets pas dans un état pareil Noa, je te taquinais juste.

Face à son amusement, je n'ajoute rien et je rejoins mon côté du lit.

Rapidement j'ôte mon pull et me place à mon tour sous la couverture.

Je ne me sépare pas de mon jogging ni de mon t-shirt.

Ne pas quitter mon haut n'est pas un choix volontaire, mais une obligation. De toute façon, même si j'avais pu l'enlever, je ne l'aurais sans doute pas fait.

Pour le bas, il y va de ma dignité personnelle de ne pas m'en démunir. En effet, le sous-vêtement que je porte est troué, comme tous ceux qui m'appartiennent et que j'ai apportés en emménageant.

Je préfère que celui qui est couché à côté de moi ne s'en aperçoive pas malencontreusement demain matin quand nous nous lèverons, donc par sécurité je choisis de dormir avec mon pantalon.

– Bonne nuit, finit par souffler le latino en éteignant sa lampe de chevet.

– Bonne nuit, réponds-je en l'imitant.

Puis je prends grand soin de me recroqueviller dans mon coin pour ne pas le toucher dans la nuit par inadvertance.

Je ferme les yeux et profite du calme qui pour une fois n'annonce pas la tempête.

D'ordinaire, je mets beaucoup de temps à sombrer dans le sommeil, car je suis sujet aux insomnies.

Ce soir pourtant, alors que je cale ma respiration involontairement sur celle de mon voisin, qui ralentit au rythme de son endormissement ; je m'assoupis paisiblement, ce qui ne m'est pas arrivé depuis de nombreuses années.

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