CHAPITRE 30

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ELIJAH

Je me souviens parfaitement du jour où Jason allait quitter la ville pour rejoindre cette école de danse qu'il convoitait depuis des années. Il n'allait pas rejoindre notre université et cela nous attristait même si nous le soutenions dans son objectif. Nos désirs n'entraient pas en ligne de compte dans la vie de notre petit frère. Seuls ses rêves avaient de l'importance.

Il était occupé à boucler ses bagages quand je l'avais rejoint, mon épaule en appuie contre le chambranle de la porte. Je l'avais regardé pendant un moment, sans parler. Il avait attendu que je me décide, mais je n'avais rien dit. Une minute. Puis deux. Puis trois. Sa valise avait rejoint le sol quand j'avais ouvert la bouche. J'avais dit « c'est une bonne école que tu as intégré » et « tu vas tout déchirer ». J'admettais que je n'en savais rien. Je ne l'avais jamais vu danser malgré toutes les opportunités que j'avais eu pour l'accompagner au studio de danse. Cependant, je n'avais jamais douté de son talent et de ses compétences.

Il m'avait détaillé un instant, comme s'il cherchait à graver mon image dans sa mémoire. Son regard avait glissé sur mes jambes moulées dans un jean noir, sur mon tee-shirt blanc caché sous une chemise à carreaux rouges, mes yeux bleus et mes cheveux en désordre. J'ignorais ce qu'il pensait de moi mais je le laissais faire. Je n'avais pas prononcé un mot pendant son analyse, m'offrant simplement à son regard.

Il s'apprêtait à se détourner de moi quand je m'étais approché d'un pas. Il s'était figé. Un deuxième pas. Il avait croisé ses bras sur son torse. Un troisième pas. Mon regard avait rencontré le sien. Un sourire était né sur mes lèvres alors que j'ébouriffais ses cheveux. Je devais tendre le bras, désormais. Il était devenu plus grand que moi l'été précédent et cinq centimètres devaient maintenant nous séparer. Ce n'était pas beaucoup, mais c'était suffisant pour m'obliger à lever les yeux pour pouvoir plonger dans les siens.

« Je suis certain que tu vas faire de grandes choses, là-bas ». Il restait muet. « Nick dit que tu as beaucoup de talent. » J'aurais dû en juger par moi-même durant toutes ses années. « Je veux te voir danser, moi aussi ». C'est trop tard pour ça, il partait dans une demi-heure. « Le gamin devient un homme. » Un très bel homme. « Tu es peut-être plus grand que moi maintenant, mais tu restes le gamin qui nous collait aux basques. » Il lève les yeux au ciel.

Il ne semblait pas lui en falloir plus pour l'agacer. Son regard s'était noircit alors que son aura se faisait menaçante. Son attention se faisait plus incisive alors qu'il faisait un pas vers moi. Ses bras toujours croisés étant la seule séparation entre nos corps. Il avait dit « je ne suis plus un gamin depuis longtemps, Elijah » et « si tu avais un minimum de bon sens, tu l'aurais déjà remarqué. » Je n'avais pas ri.

Je n'avais pas prononcé un mot, me contentant de l'observer. Ainsi en colère, il dégageait un je ne sais quoi qui m'attirait irrémédiablement vers lui. J'avais envie de me saisir de ses cheveux et de m'emparer de ses lèvres. Je savais que c'était mal, qu'il était mon petit frère de cœur, mais cette envie me dévorait les tripes. Il s'était finalement détourné de moi, avait attrapé sa valise et avait quitté sa chambre. J'avais repris mon souffle, inconscient de l'avoir retenu jusque-là. Il n'avait pas vu l'envie qui avait pointé le bout de son nez et s'était mieux ainsi.

Il était inconcevable que ce désir mal placé vienne briser notre relation. Il avait beau être séduisant, il restait celui que je considérais comme mon petit frère. Il était hors de question que je le souille avec de telles pensées. Il était bien trop tard pour qu'une telle attirance s'invite dans ma vie. Il était plus que temps que je tire un trait sur cette idée. Ce baiser échangé bien des années plus tôt n'avait été que le fruit d'une provocation d'un gamin taquin. Rien de plus.

Alors qu'il mettait sa valise dans le coffre, je l'observais depuis le pas de la porte. Alors qu'il enlaçait sa mère pour lui dire au revoir, je restais silencieux. Alors qu'il m'adressait un signe de tête en guise d'au revoir, je ne bougeais pas. Je savais que si je m'approchais de lui, que je l'enlaçais, je serai incapable de le laisser partir. Je ne pouvais pas le priver de réaliser ses rêves comme j'étais en phase de réaliser les miens. Il avait sa vie à mener, ses expériences à vivre.

Il était monté sur le siège conducteur, nous avait adressé un dernier signe de la main et s'était élancé sur la route qui s'ouvrait à lui. J'étais resté à la même place jusqu'à voir la voiture disparaitre au coin de la rue. Élisa avait échappé un sanglot et Nick l'avait accompagné dans la maison. C'était difficile pour elle de voir son petit garçon quitter le cocon familial.

Je m'étais assis sur les marches du perron, incapable de quitter l'horizon du regard. Je me sentais mal d'avoir eu de telles pensées envers mon petit frère de cœur et un frisson me gagnait. Seul l'avenir avait de l'importance, désormais. Je savais que j'étais capable de passer outre ces idées pour retrouver le petit garçon que je chérissais tant. J'allais simplement les ranger dans la case des souvenirs jusqu'à l'été suivant pour apprendre à les gérer. D'ici là, une nouvelle vie s'ouvrait à moi et il n'était pas question que je la gâche.

Jason n'était pas un homme que l'on convoite. Il était un garçon que l'on protégeait. Mes vues sur lui n'ayant aucune raison d'être, je comptais bien les étouffer jusqu'à les oublier, jusqu'à les faire disparaitre. Rien n'était plus important que son bonheur et son avenir. Rien n'était plus important que de voir son sourire sur ses lèvres à chaque fois que cela était possible.

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