Regarde Moi

CHAPITRE 4

JASON

Je me souviens parfaitement du jour où Nick et Elijah ont quitté la ville pour partir à l'université qui se trouvait à deux heures de chez nous. J'avais quatorze ans et ça m'avait mis un coup au moral de les perdre tous les deux d'un coup. Même s'ils comptaient revenir fréquemment, les choses ne seraient plus pareilles. D'autant plus qu'ils se feraient des amis là-bas et qu'ils voudraient profiter d'eux, le week-end. Pire, ils risquaient de rencontrer quelqu'un et de se caser. La simple idée que quelqu'un touche Elijah me rendait malade et j'avais envie de tout lui dire, tout lui avouer. De ne pas trouver quelqu'un, que j'étais là et que je le serai toujours. D'attendre s'il me trouvait trop jeune et que moi, je pourrai l'attendre toute ma vie.

Bien sûr, je n'avais rien dis. Je m'étais contenté de les voir ranger leurs valises dans le coffre de la voiture que mon frère avait eue pour son anniversaire. De les entendre prévoir des sorties et des soirées. Ils avaient déjà oublié qu'ils me laissaient derrière eux. Qu'ils filaient vers leur avenir pendant que j'avancerai dans une maison vide. Je ne leur en voulais pas, je n'en avais pas le droit. J'étais simplement triste de les voir partir. Mon tour viendrait.

Une fois la voiture pleine, nous étions tous assis autour de la table de la salle à manger pour le dernier repas ensemble avant quelques semaines. La mère d'Elijah était également présente et l'ambiance était légère. Les nouveaux étudiants parlaient de leur cursus et des visites prévues dans la ville alors que je les écoutais d'une oreille distraite.

Je ne voulais pas voir partir Eli sans avoir pu lui parler de ce que je ressentais, mais je m'en savais incapable. Je ne voulais pas rendre notre relation bizarre, surtout maintenant qu'il partait. Cela faisait quatre ans que je l'avais rencontré et je ne voulais pas le perdre. Même si cela signifiait qu'il ne serait jamais mien.

Le repas s'était achevé et j'avais suivi Elijah dans le jardin pendant que mon frère remplissait la glacière avec des bouteilles d'eau pour la route. Il faisait chaud même si nous étions début septembre et la voiture de Nick n'avait pas la climatisation. Il ne fallait pas qu'ils se déshydratent avant d'arriver à destination.

Assis dans l'herbe, à l'ombre du grand chêne qui trônait dans le jardin, aucun de nous ne parlions. Je profitais simplement de sa présence autant que je le pouvais, tout en me demandant à quoi il pouvait bien songer. Nos épaules se frôlaient de temps à autre et je savourais chaque contact entre nos peaux. Je n'avais aucune envie que cet instant s'achève, que quiconque vienne nous interrompre.

Sans que je ne comprenne le cheminement de ses pensées, il avait attrapé ma main pour venir jouer avec mes doigts. Je l'avais interrogé du regard, mais son attention était fixée ailleurs. Je n'avais alors posé aucune question, attendant qu'il prenne la parole. Cinq minutes avaient dû s'écouler avant qu'il n'ouvre la bouche. Il avait dit « nous ne serons plus là, Nick et moi, pour veiller sur toi. S'il te plait, ne fais pas de bêtises en notre absence. » Il avait posé son regard sur moi pour chercher une réponse et j'avais hoché la tête. Je n'étais pas du genre à me faire remarquer. Je n'étais pas quelqu'un qui cherchait les ennuis et ils avaient tendance à me laisser tranquille.

Il m'avait adressé un sourire lumineux avant de se faire taquin. « On ne sera bientôt plus sur ton dos alors tu vas pouvoir te trouver une jolie fille. » Je ne lui avais pas répondu que je me fichais des filles, que je ne voulais que lui. J'avais haussé les épaules et il avait pouffé. « J'ai eu ton âge, Jay, je sais à quoi tu penses ! » C'était impossible qu'il sache ce qui se passait dans ma tête. « Je suis certain que tu as déjà embrassé une de tes copines. » J'avais arqué un sourcil. « Elijah, je n'ai jamais embrassé personne. » Ses yeux s'étaient agrandis.

Le voir faire cette tête m'avait fait rire aux éclats. L'avais-je tant surpris avec mon aveu ? Et puis, en quoi cela importait-il que j'ai déjà embrassé quelqu'un ou non ? Le souvenir de mon aîné et d'Elijah ensemble avait à nouveau fait son chemin dans mon esprit et je m'étais demandé si, moi aussi, je pouvais tenter ma chance.

Il était revenu sur Terre et m'avait interrogé à nouveau. « Jamais ? ». « Jamais ». « Pourquoi ? ». Un nouvel haussement d'épaules. Parce que les autres n'étaient pas lui ? « Et tu en as envie ? » J'hésitais. Je n'en avais envie qu'avec lui alors qu'elle était la bonne réponse ? « Je suppose ? » Il avait ri. Je semblais l'amuser, aujourd'hui.

Il s'était approché de moi et son bras était pour de bon entré en contact avec le mien. Ses yeux brillaient d'une lueur malicieuse alors qu'il s'était penché vers moi, comme s'il allait m'énoncer un secret. Il avait dit « il faut bien une première fois à tout » et j'avais pris cela pour une invitation. Ma main s'était posé sur sa nuque de façon maladroite et mes lèvres avaient trouvé les siennes. Il n'avait pas bougé, surpris, et j'avais pris mon temps pour savourer ce contact.

Alors que je l'avais senti revenir à lui, sûrement prêt à me repousser, je l'avais libéré de moi-même. Je m'étais à nouveau appuyé nonchalamment contre l'arbre. Son regard, lui, était resté fixé à moi, la stupéfaction toujours présente sur son visage. J'avais feint l'indifférence en haussant les épaules. « Maintenant, c'est chose faite, Eli. » Je ne lui avais pas dit que je n'aurais jamais pu rêver mieux pour mon premier baiser.

Dix minutes plus tard, il quittait la ville pour rejoindre sa nouvelle vie et me laissait derrière lui.