CHAPITRE 5

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JASON

Je me souviens parfaitement du jour où j'ai compris ce qu'était véritablement la jalousie. J'avais été jaloux de Nick pour avoir embrassé Eli quand j'avais douze ans. J'avais été jaloux de ceux qui était au premier rang pour le spectacle de danse auquel j'avais participé quand j'avais quatorze ans. J'avais été jaloux pour des dizaines de raisons, mais aucune ne m'avait rendu aussi en colère que je ne l'étais maintenant. J'avais seize ans et cette raison tenait en quatre petites lettres : Tony. Je pensais que j'allais devenir dingue si je le voyais ne serait-ce que cinq minutes de plus. Pourtant, j'allais devoir le supporter pendant les quinze prochains jours.

Elijah s'était trouvé un petit-ami à l'université. C'était donc tout content qu'il nous l'avait présenté à son retour chez lui pour les vacances. Je lui avais lancé un regard dédaigneux et j'avais saisi mon sac de sport avant de quitter la maison. Si j'avais été puéril, j'aurais claqué la porte. Je m'étais abstenu. Évidemment, il ignorait ce que ce baiser que nous avions échangé deux ans plus tôt signifiait pour moi, mais je ne supportais pas la vue de son couple heureux.

Je me fichais bien que mon comportement passe pour de l'impolitesse, je ne comptais pas rester là à les regarder roucouler sous mes yeux. Il n'avait qu'à se dire que c'était ma crise d'adolescence, je n'en avais que faire. Le garçon que j'étais quand il m'avait rencontré avait beau être loin, j'avais la sensation qu'il continuait à me voir uniquement comme le gamin que j'étais à l'époque. Ce qui avait la capacité de me rendre dingue.

Je n'étais plus un enfant ! J'avais seize ans. J'avais grandi et pris en muscle grâce à la danse. Le hip-hop new style avait été la découverte qui avait changé ma vie. Une vidéo YouTube plus tard, je m'étais inscris dans une école de danse pour prendre des cours. Cela faisait deux ans maintenant que je dansais et j'avais rejoint le premier rang lors du spectacle de cette année. D'après mon professeur, j'avais un don et je comptais bien l'exploiter.

Elijah ne voyait-il donc pas l'homme que je devenais ? Vraisemblablement pas. Ce qui avait le don de m'horripiler. Dans ces moments de colère, je jetais toutes mes émotions dans la danse. C'était ce que j'avais fait ce jour-là en rejoignant le studio. Gaël m'avait donné un double des clés pour mon anniversaire afin que je puisse venir m'entraîner quand je le souhaitais. Il avait rapidement compris qu'un cours par semaine, ce n'était pas suffisant. Quand je m'étais retrouvé face à ce miroir familier, j'avais enfin pu relâcher toute ma rage et ma frustration.

J'étais couvert de sueur quand j'avais rejoint mon domicile. Mon tee-short collait dans mon dos et mes cheveux, sur mon front. Elijah et Tony étaient toujours présents, confortablement installés dans le canapé de mon salon, leurs mains liées entre eux. Après un seul regard, j'avais gravi les marches deux à deux pour rejoindre ma chambre afin d'aller poser mes affaires et prendre une douche.

Quand j'étais ressorti de la pièce, des vêtements propres entre les mains, Elijah me bloquait l'accès à la salle de bain. Il avait haussé un sourcil en me voyant, ne m'ayant jamais vu dans cette tenue. Il ne rentrait que de rares week-ends et pendant les vacances. Je dansais dès que j'en ressentais le besoin. Je m'étais planté face à lui, à peine moins grand de quelques centimètres. Mes genoux me tiraient encore, je savais que j'allais continuer à grandir. Je savais également que je le dépasserai bientôt. Lui, il ne semblait pas y penser.

« Tu ne m'as même pas dis bonjour ». Ça avait été mon tour d'arquer un sourcil. Venait-il vraiment me faire chier pour si peu ? « C'était impoli de ne pas saluer Tony ». Souhaitait-il vraiment que je reparte danser pendant deux nouvelles heures ? « Qu'est-ce que j'ai encore bien pu te faire pour que tu m'ignores à mon retour ? » Je n'avais aucune envie de le confronter maintenant. Pas alors que son mec l'attendait en bas. Parce que si ça n'avait tenu qu'à mes envies, je l'aurais plaqué contre la porte pour l'embrasser bien plus longuement que la dernière fois. « Je ne te comprends plus, Jay. » J'ai grandi. Si tu me regardais rien que deux secondes, tu le verrais. « Le gamin que tu étais me manque. » Regarde-moi. « En fait, tu es toujours un gamin. » Regarde-moi, merde !

Il avait échappé un soupir, lassé de son monologue, et m'avait laissé l'accès à la douche. J'étais resté un instant planté au milieu du passage alors qu'il s'éloignait dans le couloir pour rejoindre le rez-de-chaussée. Pourquoi avait-il fallu qu'il ramène ce bobo chic à la maison ? C'était clair qu'ils n'étaient pas fait pour être ensemble.

Rageur, j'avais passé une main dans mes cheveux avant d'enfin rejoindre la cabine tant attendue. Nu, je m'étais glissé sous le jet glacé pour me changer les idées. Malgré toutes mes tentatives, elles étaient restées fixées sur Elijah et sur cette lueur de tristesse qui flottait dans son regard quand il s'était éloigné de moi.

Son rire m'était parvenu au moment où j'avais coupé l'arrivée d'eau et ce fut semblable à un coup de poignard. Qu'avais-je bien pu imaginer ? Elijah se fichait bien de moi et de mes petits états d'âmes. Et bordel, ce que ça faisait mal d'en prendre conscience. Parce qu'après tout, pour lui, je serai éternellement le petit garçon adorable qui soufflait ses dix bougies.

C'était en silence que j'avais rejoint la cuisine pour me faire réchauffer l'assiette que ma mère m'avait laissé dans le frigo. C'était en silence que j'avais mangé, remplissant mon ventre affamé après tant d'efforts. C'était en silence que je les avais vu s'embrasser et que mon cœur s'était fragmenté un peu plus dans ma poitrine. C'était en silence que j'avais rejoint ma chambre pour me soustraire à ce spectacle désagréable. Mais ça avait été en musique que je m'étais endormi. Les paroles disaient « So tell me it hurts, tell me it burns, Tell me it's love and that you're ready to fall into my arms or into the ground, It's lost or it's found, Whatever you need to say, say it now, say it now ».

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