PROLOGUE : COLLECTIONNEUR

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 On aurait dit le bureau d'un savant fou

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 On aurait dit le bureau d'un savant fou. Comme creusée dans une roche volcanique, friable et tranchante, la pièce était faiblement éclairée par une lampe à huile qui brûlait doucement sur la table principale. Un fauteuil en skaï noir portant des marques de griffures était disposé à côté du bureau. Le lieu aurait presque pu avoir des allures de pièce de travail normale, mais pour cela, il aurait fallu retirer les étagères.

Ces plateaux de bois vieilli d'aspect instable étaient fixées dieu sait comment. Déjà vides, elle n'auraient inspiré confiance à personne. Mais chargées comme elles l'étaient, c'était carrément peine perdue.

Sur chacune d'entre elles, étaient alignés des dizaines de bocaux de verre enveloppés par une épaisse couche de poussière. Le contenu de ces bocaux était indescriptible : mélanges insipides de matières visqueuses, liquides verdâtre à l'aspect moisi, plantes obscures aux couleurs trop vives pour passer inaperçu. Il y en avait de tous les côtés. Peu importe où l'on dirigeait le regard, on tombait forcément sur l'un de ces contenants dégoûtants, tous étiquetés avec des noms écris à l'encre, qui s'étaient, pour la plupart, effacés au cours du temps.

Le décor était vraiment digne d'un film d'horreur.

Et pourtant, cela ne semblait pas déranger le moins du monde la personne qui passa la porte en métal légèrement rouillée.

L'homme aussi, avait une dégaine de savant fou. A ce détail près que ses cheveux n'étaient pas blancs, mais blonds, et qu'il portait une veste en cuir et des lunettes de soleil au lieu d'une blouse blanche et de verres de protection.

Il ôta ses lunettes rondes après avoir refermé la porte, révélant des yeux de la teinte d'un brasier. Par leur simple couleur, ils auraient presque pu faire augmenter la température de plusieurs degrés ou mettre le feu à n'importe quel objet à proximité.

Mais les bocaux ne s'embrasèrent pas lorsqu'il s'approcha d'une étagère. Au contraire, l'éclat des yeux de l'inconnu les faisait presque luire dans la semi-obscurité. Si leur contenu n'avait pas été aussi peu ragoûtant, ils auraient presque pu paraître quelconques.

L'homme passa toute l'étagère en revue, d'un air satisfait. Satisfait de quoi ? Il aurait été difficile de le déterminer. Comment pouvait-on éprouver de la satisfaction en contemplant ce spectacle répugnant ?

L'expression sur son visage se métamorphosa peu à peu. Son sourire s'éclipsa derrière sa barbe, qu'il gratta un instant, l'air suspicieux.

— Il en manque un, marmonna-t-il, mécontent.

A grandes enjambées, il s'éloigna des étagères pour se rapprocher du bureau qui occupait le centre de la pièce. D'un tiroir, il extirpa un sachet de friandises de couleur rouge, puis une sorte d'assiette en verre transparent aux bords recourbés vers l'intérieur. Il posa ses deux trouvailles sur la table. Il déchira le sachet pour y piocher un petit bonbon en forme de haricot, qu'il avala tout rond. Puis, il se saisit d'un coupe-papier dans le pot à crayons, qu'il pressa sur son avant-bras, libérant une unique goutte de sang, qui tomba dans l'assiette.

Le liquide rougeâtre se répandit sur toute la surface du plat.

— Azrumoth ! dit l'homme en baissant les yeux vers l'assiette.

Immédiatement, un visage apparut sur la fine couche d'hémoglobine. Un visage en mouvement, dont la bouche s'ouvrit pour parler d'une voix lointaine :

— C'est moi !

— Où est passé Edgar Allan Poe ?

— Oh, on a envoyé son âme en salle de torture cent quatre-vingt dix-huit, ce matin.

L'homme leva les yeux au ciel.

— Il fallait pas ? reprit le visage qui se trouvait dans le plat.

— C'est bon. Un petit tour lui fera du bien. Pensez juste à le remettre dans le bocal, une fois la promenade de santé terminée.

Les deux voix se mélangèrent en un ricanement.

— Au fait, reprit le « savant fou » en veste de cuir. As-tu eu le temps de réfléchir à ce projet dont je t'ai parlé ?

— Ouais, le sujet a tourné toute la journée d'hier, dans la salle de pause. Les autres sont carrément emballés, c'est une super idée.

— Et toi, qu'en penses-tu ?

— Oh, je suis d'accord avec tout le monde. C'est mortel, Lucifer, tu peux me croire. On avait bien besoin de renouveau, ces dernières années. Comme tu l'as dit toi-même, on est en train de perdre du terrain face à l'autre Barbu. Il faut pas qu'on se laisse faire !

— Exactement.

Le visage sanguinolent esquissa ce qui pouvait se rapprocher d'un sourire.

— Et bien, je devrais m'y atteler dès maintenant, tu ne crois pas ? continua Lucifer en avalant une autre dragée.

— Le plus tôt sera le mieux, hein ?

— Peux-tu m'envoyer mes enfants ? Je vais avoir quelques tâches à leur confier sur ce projet.

— Pas de problème ! Je fais passer le mot.

Les contours du visage s'estompèrent peu à peu, pour ne laisser que quelques tâches rouges éparses dans l'assiette. Le Diable releva la tête. Il avait retrouvé son air satisfait. Il s'éloigna à nouveau du bureau pour contempler sa collection d'âmes tourmentées.

— A nous deux, Elohim, à nous deux, murmura-t-il dans sa barbe.

Le temps sembla se suspendre tandis qu'il s'immobilisait devant les rangées de bocaux, et d'un coup, on frappa à la porte.

— Oui ? ordonna la voix grave du Malin.

Une jeune femme entra. Sa chevelure rousse brillait de la même intensité que les yeux de l'homme. Derrière elle, il semblait y avoir un attroupement, attendant dans le noir que la porte s'ouvre en grand.

— Tu voulais nous voir ?

— En effet. Entre, Garnet. Vous aussi, derrière ! Vous ferez passer le message aux autres.

La pièce circulaire fut alors envahie, jusqu'à ce que tout l'espace où on ne risquait pas de faire tomber des bocaux ni de se couper au contact de la roche soit occupé. L'homme s'appuya alors d'une posture désinvolte sur le fauteuil en skaï, et déclara au milieu d'un silence de mort :

— J'ai eu une idée. Écoutez-moi tous attentivement.

🔥🔥🔥

Alors alors, que pensez-vous de ce premier pas dans l'univers ? Qu'est ce que l'ambiance vous inspire ?

Un avis sur le personnage de Lucifer et sur son bureau plutôt... étrange ?

Je vous retrouve demain pour la rencontre avec Edgar, le personnage principal de SOTU.

Bonne journée !

Vega.

Les monstres naissent dans les flammesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant