Chapitre 4

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Comme chaque jour, son réveil sonna au premier coup de six heures. À moitié endormi, il l'éteignit du bout du doigt. Nonchalamment, il se dressa sur son lit et s'étira lentement. Ainsi commençaient toutes ses journées, du lundi au samedi, depuis presque dix ans.

Il effectuait la même routine, en suivant le même ordre d'exécution des tâches. Il prenait une douche chaude, s'habillait, petit-déjeunait, se coiffait, se brossait les dents et prenait, enfin, la route vers son lieu de travail. Pas une fois il ne fléchit. Pas une fois il ne dérogea à l'ordre qu'il avait instauré dans son train de vie, il y a quelques années de cela.

Cependant, il serait du domaine du mensonge que de dire que ce monotone enchaînement presque chorégraphique durait depuis dix ans. Du moins, pas complètement.

À vingt-neuf ans seulement, il avait déjà vécu des épreuves que d'autres vivent en quarante ans. Des épreuves qui l'ont forgé, qui lui ont appris la rigueur et le travail appliqué. La régularité était un aspect qu'il revendiquait énormément dans sa vie. Il aimait la routine, il aimait être dans sa zone de confort. Lui qui s'était tellement battu pour l'avoir. Lui qui avait tellement souffert pour prouver qu'il était méritant. Il n'allait pas tout gâcher avec un concept qui l'horripilait : l'imprévu.

Depuis qu'il avait pris son indépendance, il s'était juré intrinsèquement d'avoir une vie saine et régulière, en contrepartie de son passé mouvementé. Il voulait, enfin, être maître de son destin et ne plus l'attendre passivement.

C'était cela ! Il ne voulait plus être passif. «La vie active» était pour lui un objectif, presque un rêve. Il voulait tourner la page du recueil de ses souffrances qui commençait davantage à ressembler à un thriller de six-cent pages qu'à une simple nouvelle. Il voulait se dédouaner de son passé, se soustraire de cette vérité qui lui collait à la peau. Il voulait commencer une nouvelle vie, une vie d'homme libre. Libre de ses choix, libre de ses désirs, libre de ses pensées, libre d'être lui-même.

Pour cela, il lui fallait s'éloigner de tout ce qui était susceptible de lui rappeler son malheur d'antan. Il lui fallait s'éloigner au risque de perdre énormément de choses. Il quitta Paris et alla s'installer dans sa ville natale, New York.

Il était seul, mais n'en souffrait pas. D'un naturel solitaire, il aimait se retrouver avec sa propre personne. Pas par égocentrisme ni par prétention. Être seul était pour lui un moyen de se ressourcer, d'être en harmonie avec lui-même.

Au début, la vie était loin d'être simple. Les tristement célèbres prix exorbitants de New York ne lui facilitaient pas la tâche. Mais il tint bon. Abandonner ne faisait pas partie de son vocabulaire.

Cependant, tout ne lui réussissait pas toujours. Il était très compliqué pour lui d'imposer son avis en public. Il avait peur. Peur du jugement. Peur de faiblir. Peur de l'échec.

Le jour où il dû monter sa propre entreprise, il eu du mal à aborder le projet. Il devait attraper le taureau par les cornes. Cela lui paraissait impossible. Mais là encore, il tint bon. Il réussit à mettre ses émotions de côté et à en faire abstraction. Il les avait enfermés dans un coin de son cœur et préférait ne pas y prêter attention. La tête haute, il fit une chose qu'il n'aurait jamais faite s'il avait eu le choix : foncer tête baissée.

Après quelques années de bataille, il avait réussi. Il était à la tête d'une entreprise florissante implantée à plusieurs endroits dans le monde. Il était un homme comblé aux yeux des gens, mais l'était-il réellement ?

En vérité, au fond de lui, il se sentait vide, incomplet. Il lui manquait quelque chose. Mais il ne se plaignait pas, il ne disait rien. De toutes manières, il n'avait confiance en personne. Il se taisait et souffrait en silence. Il avait l'impression de tourner en rond. Il s'était battu pour s'extirper de son malheur d'enfance, mais la souffrance le suivait. Il n'avait aucun point de repère, personne sur qui compter. Il avait des amis, évidemment, mais il ne leur parlait pas de ses problèmes.

Il n'avait que son frère, un jeune homme de vingt-cinq ans qui ne lui ressemblait en aucun point. Il était extraverti, était à l'aise en société et s'entendait avec tout le monde. Il était le seul à qui son grand-frère pouvait se confier.

Ce jour-là, sur le chemin du travail, il y pensait. Il se remémorait son passer en se demandant ce qui n'allait pas chez lui. Il cherchait le bonheur sans jamais le trouver. Les amis, le travail, les loisirs, l'argent; il avait tout pour être heureux. Mais ça n'allait pas. Il n'y arrivait tout simplement pas. Comme si un grain de sable était venu se loger en plein dans le rouage de sa vie. Le problème c'est qu'il n'avait aucune idée de la nature de ce grain de sable. Quel était-il ? D'où venait-il ? Comment pouvait-il y remédier ? Etait-ce du domaine du possible ? Tant de questions qui restaient sans réponses.

Mais il l'avait rencontrée. Elle. Comment la décrire ? Elle était parfaite. Elle était belle, intelligente et, à première vue, avait tout pour plaire. Il ne l'avait vu qu'une fois, mais c'était déjà assez pour allumer la petite étincelle qui était restée éteinte dans son cœur depuis bien trop longtemps. Il voulait apprendre à la connaître, savoir qui elle était, d'où elle venait. Il devait, pour cela, prendre son temps. Encore une chose pour laquelle il était bien déterminé.

The Boss ManOù les histoires vivent. Découvrez maintenant