Chapitre 9

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Il se tenait droit, les mains dans les poches, attendant son frère devant la porte d'un restaurant. Ils s'y étaient donné rendez-vous pour déjeuner.

Grand, imposant, il portait un long manteau noir sur un sweat-shirt uni tout aussi sombre. Il ne s'habillait que très rarement de manière colorée. Ce jour-là n'était pas une exception.

Lorsqu'une Mercedes noire se garra à sa hauteur, son visage jusqu'à présent fermé se détendit, laissant apparaître un maigre sourire. Il appréciait ces moments en tête-à-tête avec son frère. Il se sentait libre de se montrer tel qu'il était. Il baissait le masque qu'il s'était imposé depuis toujours et passait d'agréables moments en sa compagnie.

Pourtant, tout chez eux laissait croire qu'ils n'avaient absolument aucune chance de s'entendre. Ils étaient chacun de parfaits extrêmes dans leur personnalité. Du moins en apparences. L'un était réservé en tous points, l'autre n'attendait que le contact avec autrui. L'un aimait par dessus tout le calme, l'autre aimait passer ses samedi soirs en boîte de nuit. L'un était ferme et autoritaire, l'autre était laxiste et bon vivant.

Quelques fois les opposés s'attirent...

Les deux hommes se saluèrent et entrèrent dans le restaurant. Une fois assis à une table, la conversation ne traîna pas. À l'aise l'un avec l'autre, il n'y avait entre eux aucun tabou. À quelques sujets près...

- Alors, Esteban, tu en as trouvé une qui te plaît ? Après tous ces dates tu en as forcément trouvé une.

Esteban détestait cette question. Il lui fit les gros yeux, sans succès. Il voyait briller dans le regard de son jeune frère une lueur d'espoir et d'impatience.

- Aucune qui ne soit assez bien. Et puis je n'ai pas envie de parler de ça. Je n'ai pas de temps à perdre à courir après les femmes comme un pauvre type en manque d'attention. Je n'ai pas besoin de ça dans ma vie.
- Ça quoi ? dit son frère d'un air malicieux, fier d'avoir trouver une faille au discours de son frère. D'attention ?

Esteban choisi le silence. Il avait horreur de débattre sur un sujet qu'il savait inutile. Il savait pertinemment qu'affronter le jugement de son frère sur la question ne ferait que l'énerver. Il n'était pas venu pour ça.

Hardin n'avait pas besoin de grands discours pour comprendre les pensées de son frère. Ils étaient si proches qu'il pouvait presque lire dans ses pensées. Il savait que cela ne valait pas la peine de continuer.

Esteban ne le montrait pas, mais il souffrait. Il faisait mine d'y être indifférent mais il ne pouvait pas se mentir à lui-même.

Lorsqu'il rentrait chez lui, il se sentait seul. Terriblement seul. Il sentait un vide pesant qui l'oppressait de plus en plus. D'habitude, cela ne le dérangeait pas. Au contraire, il adorait la solitude. Il ne voyait pas ce vide comme une prison mais plutôt comme une liberté. Mais depuis quelques mois, il expérimentait des sensations bien désagréables. L'impression d'être inutile grandissait en lui, lui faisant presque oublier tout ce qu'il avait accompli.

Il fallait qu'il la revoit. Cette femme qui, par un simple regard, l'avait fait sortir de sa zone de confort. La voir suffisait à lui embrumer l'esprit, à lui faire perdre tous ses moyens. Fort heureusement pour lui, il avait un talent d'acteur grâce auquel il pouvait garder la face. À son contact, il essayait tant bien que mal de garder ce masque dur et impassible connu de tous. Il n'avait pas la réputation d'être cruel mais plutôt celle d'un homme qui ne laissait jamais rien transparaitre. Sarah. Elle s'appelait Sarah. Son nom résonnait comme une évidence.

- Tu penses à elle ? demanda Hardin, sortant brusquement son frère de ses pensées.

Il hocha la tête avec pudeur, les yeux baissés, comme si la vision mentale de cette femme était le plus grand des péchés.

- Pourquoi tu ne vas pas lui parler ? le questionna Hardin comme si c'était une évidence.
- Lui parler ?! souffla-t-il dans un rire nerveux. J'aimerais bien t'y voir !
- C'est simple, tu n'as qu'à...
- Épargne ta salive et ne perds pas ton temps à m'énoncer des conseils qui ne fonctionnent que sur toi.
- Ça ne fonctionne pas que sur moi, grogna Hardin, il faut juste que tu...
- Que je prenne des initiatives ? Que j'ose me lever le matin avec l'idée de dévoiler mes sentiments à une femme dont je ne connais que le nom, l'apparence et le métier ?
- Et l'adresse... compléta malicieusement son frère en remuant le fond de son verre.

Voyant le regard interrogateur de son aîné, il ne pu se résoudre à tout lui dévoiler. Il voulait faire durer le suspens, le faire attendre jusqu'à l'agacement. Après presque une minute, qui paru être une éternité, il lui glissa une phrase sur un ton des plus mystérieux.

- Si je te donnes son adresse, tu me promets d'aller lui parler lundi matin ?
- Non ! lui répondit Esteban sur la défensive.
- Tu en es sûr ?
- Parfaitement, assura-t-il en restant de marbre.

Il ne se voyait pas faire ce genre de promesses puériles à son frère. Ses histoires de cœur ne le concernait pas. Il se maudit, alors, de lui avoir révélé le moindre de ses sentiments. Il aurait dû faire ce qu'il faisait le mieux : garder le silence.

Hardin savait comment amadouer son frère et prévoyait déjà de revenir à la charge après quelques jours.

Leur conversation reprit sans peine et prit une tournure professionnelle. Soudain, le téléphone d'Esteban se mit à vibrer. Il jeta un coup d'œil sur l'écran et eu une réaction de dégoût.

- Pourquoi il m'appelle, lui ? Qu'est-ce qu'il me veut ?

Hardin n'eu qu'à voir le nom affiché sur le téléphone pour comprendre la réaction de son frère.

- Ça fait combien de temps que vous ne vous êtes pas parlé ? demanda-t-il à son grand frère.
- Je ne sais pas... plus moins trois mois, depuis la dernière dispute.
- Trois mois ?! S'il t'appelle maintenant c'est qu'il veut quelque chose...
- Bien joué, Einstein ! rétorqua Esteban avec ironie.

Le téléphone arrêta de sonner ne laissant place qu'à une notification avertissant d'un appel manqué. Après quelques secondes, la mine dégoûtée d'Esteban fit place à une colère bien visible. Le téléphone de Hardin se mit à sonner à son tour. Le même numéro... la même personne...

- C'est une blague ?! s'écria Esteban. Tu compte lui répondre ?
- Je ne sais pas... Tu sais, on ne s'est pas vraiment disputé lui et moi. Bien sûr, je ne cautionne pas ce qu'il a fait mais ce n'est pas vraiment envers moi qu'il a été injuste.
- Si tu lui réponds, c'est que tu cautionne.

Mais il était trop tard. Le frère cadet avait déjà répondu.

- Allô, Papa ?

The Boss ManOù les histoires vivent. Découvrez maintenant