1861
« Rachel ! pesta madame Miller. Tu n'en fais toujours qu'à ta tête ! »
La jeune femme de vingt deux ans, les bras croisés, détournait le regard de sa mère. Ses cheveux châtain clairs sous un chignon simple s'ébouriffaient de colère, tandis qu'elle retenait ses paroles contre la maîtresse de maison.
« Écoute-moi, lorsque je te parle !
– C'est toujours la même chose avec vous ! renchérit la demoiselle. Je croyais que vous étiez d'accord pour que j'étudie ! »
Madame écarquilla des yeux. Ses phalanges s'étaient blanchies sous l'irritation.
« Certainement ! protesta-t-elle. Que tu étudies ! Rien de plus ! Quelle idée encore t'es-tu mise en tête, à vouloir travailler ! »
Dans cette époque victorienne, les femmes de classes supérieures ne pouvaient espérer l'indépendance financière. Se salir les mains était mal vu. Peu d'entre elles étudiaient, moins encore travaillaient. Mais Rachel n'en avait que faire. Parfois, elle rêvait d'être à la place de son frère Arthur. Il pouvait choisir son avenir, lui. Tout simplement parce qu'il était un homme.
« À quoi cela peut-il bien servir d'étudier, si je ne peux même pas espérer travailler par la suite ?! » s'offusqua la demoiselle.
Madame avait tourné les talons, laissant sa fille pantoise dans le salon. La jeune femme soupira, les larmes coincées à l'entrée de ses yeux émeraude. Son professeur allait arriver d'ici peu pour lui faire cours. Elle perdit espoir. À quoi bon ? De toute manière, elle était vouée à suivre ce que ses parents attendraient d'elle.
Monsieur Dendy était retraité depuis plusieurs années maintenant. Ancien professeur d'archéologie, il faisait cours à domicile pour la jeune femme, contant ses aventures de jeunesse sous les yeux émerveillées de la jeune étudiante.
À l'orée de la forêt qui entourait le majestueux manoir de Waddesdon, un fiacre pénétra dans le jardin vert et bien entretenu de la propriété. Les roues et les sabots des chevaux s'arrêtèrent près de l'entrée. Un vieil homme en sortit, mallette à la main. Rachel observa son arrivée par la fenêtre, puis se dirigea vers le grand bureau.
Tapisserie verte, objets de luxe, sofas rembourrés. Tout criait la richesse. La charmante pièce, éclairée par une grande fenêtre, médisait l'extérieur. Les pas du professeur se faisaient plus pressants. Claquant ses talons sur le parquet, il arriva devant la porte du bureau en peu de temps.
Il salua sa jeune étudiante, puis s'installa face à elle.
« Eh bien, jeune fille, lança-t-il, vous avez mauvaise mine aujourd'hui.
« Ce n'est rien, dit-elle le regard dans le vide. Nous pouvons y aller, Monsieur. »
Ce jour, le cours sembla fade. Rachel eut du mal à garder son attention tout du long. La peine s'immisçait dans ses entrailles à mesure que le temps avançait. À quoi bon cette richesse ? Rachel n'était pas plus heureuse qu'un autre. Elle s'imaginait parfois dans une famille différente, ou tout simplement seule. Elle s'imaginait partir loin d'ici. Naviguer dans les flots profonds du pacifique ou visiter les vestiges abandonnés de la vieille Angleterre. Partir en mer ou en locomotive. Juste partir.
Elle pouvait entendre les employés de maison s'affairer à leur tâche, tandis que son professeur lui dictait la leçon.
La famille de Rachel était très traditionnelle. Monsieur Ezekiel Miller, le père de famille, était médecin. Sa réputation le précédait même en dehors de la capitale britannique. Madame Victoria Miller, ancienne noble, s'était mariée avec l'un des hommes les plus fortunés du pays. Le couple avait ensuite eu un garçon, en qui ils mettaient tout l'espoir de la famille, puis quatre ans plus tard ils eurent une fille.
VOUS LISEZ
Rachel Miller et l'orphelinat abandonné [Réécriture]
Paranormal1861 Epoque Victorienne Rachel Miller est une jeune bourgeoise de vingt-deux ans, qui a toujours vécu une vie fortunée auprès de ses parents. Inscrite dans les coutumes et l'étiquette, elle n'a jamais eu l'opportunité de côtoyer la gent masculine, s...