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Remerciement à JaneFoster75, RoseBreart, CelineM96 pour leurs commentaires encourageants, ainsi qu'à tous les autres lecteurs pour leur votes.

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« Depuis toute la vie je me suis toujours sentie en dehors, où que je sois, en dehors... »

Delphine de Vigan, « L'art et la manière »

À la cour de Versailles, l'étiquette s'impose. Toute rencontre s'assujettit à des codes et des préséances. Au château, chacun cherche à augmenter ses prérogatives en veillant à ce qu'aucun autre ne s'élève au-dessus des siennes, on s'épie et se jalouse. C'est très à contrecœur qu'Isabelle a accepté d'accompagner son aîné dans ce « nid de serpents », comme le nommait leur père de son vivant.

La principale cause de la misère publique est le nombre excessifs de nobles qui y foisonne, frelons oisifs qui se nourrissent de la sueur et du travail d'autrui, et qui font cultiver leurs terres, en rasant leur fermiers jusqu'au vif, pour augmenter leur revenus. Ils ne connaissent pas d'autre économie. S'agit-il, au contraire, d'acheter un plaisir ? Ils sont prodigues jusqu'à la folie et la mendicité. Ce qui n'est pas moins funeste est qu'ils traînent à leur suite des troupeaux de valets fainéants, sans état et incapables de gagner leur vie.* Isabelle se contente aisément d'une domesticité minime, sa gouvernante Béatrice, son intendante Jeanne et le mari de cette dernière Maurice lui suffisant amplement. Plus que des domestiques, ils sont avant tout des compagnons de vie fidèles et honnêtes adorant la douce créature qu'est leur maîtresse.

Il est bien dommage de voir un tas de personnes fortes et belles, car les nobles entre eux choisissent les victimes de leur corruption, se consumer dans l'inaction, s'amollir dans des occupations futiles. De quelques manières qu'elle envisage la question, cette foule de gens oisifs paraît inutile à la France pour la comtesse de Vauboyen, même dans l'hypothèse d'une guerre que le roi pourrait éviter toutes les fois qu'il le voudra. Elle est, en outre, le fléau de la paix. Et la paix vaut bien qu'on s'occupe d'elle autant que de la guerre.*

- Sommes-nous bientôt arrivés, Henri ?

- Patience, Amélie. Nous ne sommes plus très loin du château de notre Sire le roi.

Bien qu'elle exècre cette idée qu'a eu son frère de vouloir l'emmener à Versailles dans une tentative de lui faire oublier sa lourde peine, Isabelle est fortement soulagée que son amie de toujours soit venue avec eux. Avec la compagnie d'Amélie, elle est au moins sûre de ne pas être seule face à tous ces nobles inconnus mais dont elle sait l'ambition et la fourberie.

Henri a invité les deux femmes à une soirée d'appartements organisée par Monsieur. Les soirées d'appartement se tenaient plusieurs soirs par semaine de dix-neuf à vingt-deux heures. Les trois compagnons ont déjà dépassé l'horaire de départ de quarante-cinq minutes, espérant pouvoir se fondre au milieu de la masse de courtisans déjà bien occupés à cette heure-ci par le bal.

Celui-ci, à leur arrivée, est très réussi, en vérité. La salle est immense, illuminée par de gigantesques lustres en argent qui semblent tomber tout droit du ciel étoilé. Un orchestre placé sur une estrade régale les oreilles des mélodies les plus romantiques. Au fond de la salle, en montant quelques marches, s'étend un immense balcon de pierre formant un rectangle.

La comtesse, accrochée au bras de son frère, n'a certes rien à redire sur la décoration. Elle se retient néanmoins de grimacer devant l'étendue des richesses démontrées. Aux causes de misère que vit le peuple français vient se joindre le luxe et ses folles dépenses. La haute classe de la société déploie ici un luxe inouï de vêtements et de nourriture. Parlera-t-elle de tous ces jeux, cartes, dés, paume, palet, qui engloutissent l'argent des habitués des salons et les conduisent droit au vice pour réparer leurs pertes ? Le roi devrait réellement songer à arracher du pays ces pestes publiques, ces germes de crime et de misère. S'il était seulement possible de mettre un frein à l'avare égoïsme des riches, leur ôter le droit d'accaparement et de monopole et qu'il n'y ait plus d'oisifs en France, Isabelle le ferait sans hésiter, elle qui malgré son titre vit dans une relative minimalité.

La Comtesse du LysOù les histoires vivent. Découvrez maintenant