La nuit n'était pas tout à fait complètement tombée lorsque le bus déposa Célestin devant chez lui dans un quartier huppé de la ville, même si le soleil avait disparu derrière les nuages épais et que la lune pleine et ronde trônait parfaitement dans le ciel de mars. En ce moment, surtout ces derniers jours, il ne faisait pas beau : le temps était très pluvieux, ce qui rendait tout plus sombre et monotone.
Quand Célestin s'était levé de sa place côté fenêtre pour descendre du bus et qu'il avait dû enjamber Solal (ils ne savaient pas pourquoi ils se mettaient toujours dans ce sens là puisque l'arrêt du blond était toujours avant le sien), Solal l'avait attrapé par la taille et lui avait embrassé la joue.
_ Rentre bien, poulet, lui avait-il soufflé à l'oreille. Et si tu as besoin ou si tu veux discuter, tu m'envoies un message. D'accord ?
Célestin lui avait ensuite rendu son étreinte et avait hoché la tête, niché dans le creux de son cou. Solal n'était pas idiot, il avait compris que les parents de Célestin n'allaient pas être contents que leur fils soit en retard - de presque une heure - et qu'ils allaient le réprimander, après tout, c'était leur rôle. Ça n'empêchait pas que Solal s'inquiète pour celui qu'il considérait comme son petit protégé.
Depuis leur toute première rencontre, Célestin et Solal ne pouvaient pas s'empêcher d'être tactiles l'un avec l'autre. Au départ, le blond se retrouvait souvent gêné à cause de leur proximité, n'étant pas habitué à cela, même avec son meilleur ami d'enfance, Luke. Puis, la pudeur s'était peu à peu envolée, alors que les contacts, eux, s'étaient multipliés. Ce n'était donc pas rare de voir les deux adolescents se prendre dans les bras, s'embrasser sur la joue et dans les jours où Célestin n'était pas en forme et que Solal faisait tout pour lui remonter le moral, se tenir la main.
Lorsque Célestin descendit finalement du bus, l'air froid de l'extérieur lui glaça le sang et secoua son échine. Même vêtu d'une veste, il sentait la fraîcheur de l'air se glisser sous ses vêtements et le faire frissonner. Une fine bruine tombait du ciel couvert de nuages sombres et obscures. Célestin leva la tête et laissa la fine pluie venir mouiller sa peau claire et ses cheveux d'or. Bientôt, sa petite frange colla à son large front. Son nez lui picotait légèrement, et ce fut le signal pour lui de rentrer à la maison.
Il ne se pressa pas pour rentrer, profitant de l'air frais autour de lui. Il savait qu'il était très en retard, alors quelques minutes de plus ou de moins, quelle différence cela faisait-il ?
Quand il passa le pas de la porte, l'atmosphère tendu de la pièce le rattrapa brutalement. Il prit douloureusement conscience que son temps de rêverie avec Solal était terminé et qu'il allait devoir maintenant s'expliquer. Il alla dans le salon, où il devinait que ses parents étaient installés, et ça n'y manqua pas. Son père lisait un journal dans son fauteuil et sa mère était sur le canapé, prenant le thé avec son professeur de violoncelle et de solfège.
Mince ! Célestin les avait complètement oublié, ces deux-là. Au moins, ses parents n'oseraient pas le disputer devant eux... Si ?
_ Mon chéri, s'exclama sa mère. Tu es enfin rentré ! Que s'est-il passé ? Pourquoi tu ne répondais pas à mes appels ? J'ai eu vraiment peur !
Une pointe de culpabilité piqua le cœur de Célestin. Au delà des remontrances, il n'avait même pas pensé que son comportement aurait pu inquiéter ses parents. Il n'avait pensé qu'aux réprimandes auxquels il pensait avoir droit et qu'il, après tout, méritait.
Quand il passait du temps avec Solal, c'était toujours la même histoire : l'un comme l'autre, ils ne voyaient pas le temps passer. Souvent, il avait entendu Solal lui racontait les savons que sa mère lui passait quand il rentrait après vingt-et-une heure.
_ Je suis désolé, bredouilla-t-il sincère.
_ Nous l'espérons bien, intervint son père en refermant le journal d'un coup sec. Tes professeurs se sont tout de même déplacés pour rien. Tu n'étais pas là, c'était fort difficile pour eux de te faire cours.
Célestin grimaça au sarcasme évident dans sa voix. Penaud, il se tourna vers les deux musiciens et encore une fois, s'excuse platement. Il essaya de se justifier tout de même, expliquant qu'il avait raté le bus, que ce n'était pas totalement de sa faute.
_ Ne vous justifiez pas, jeune homme. Nous nous verrons samedi prochain à la place.
_ Samedi ? répéta Célestin. Mais je croyais-...
_ Vous devrez travailler les deux morceaux que j'ai déposé sur la table, ici-même, continua-t-il sans tenir compte de son intervention.
_ Pour le solfège, j'ai déposé un dossier complet. Nous nous reverrons prochainement.
Les deux professeurs de musique finirent par partir, laissant Célestin avec une montagne de travail alors que le Bac blanc approchait à grands pas. Puis, les parents de Célestin montrèrent leur mécontentement et le punirent dans sa chambre.
Ainsi, Célestin s'était retrouvé sur sa banquette près de sa fenêtre, à observer la lune ronde et belle réfléchir dans la nuit. Parfois, elle lui évoquait une solitude profonde : elle était toujours seule, cette lune, dans les hauteurs sombres de l'univers. Aucun astre ne lui tenait compagnie, peut-être avait-elle parfois la chance d'apercevoir et de rencontrer le soleil. La lune rimait avec la nuit, et la nuit signifiait être seul enfermé dans une chambre à observer la lune. Un cercle vicieux. Presque diabolique.
Au delà de cette solitude physique, Célestin avait l'impression que personne ne le comprenait réellement. Au lycée, il avait cette casquette de petit ange prodige et guindé. Chez lui, il était le fils parfait. Mais il était une personne à part entière derrière ses étiquettes, et il avait la sensation que les gens avaient tendance à l'oublier.
L'une des personnes avec lesquelles il s'entendait le plus avait été son grand-père. Ce dernier était malheureusement décédé il y a quelques mois de cela, des suites d'une maladie qui l'avait petit-à-petit affaibli et conduit à la mort. La douleur avait été si vive pour Célestin, il avait soudainement eu tout un pan de sa vie qui s'était écroulé. Il ne s'était jamais senti aussi perdu qu'à ce moment là de son existence. Il conservait une photo d'eux deux sous son oreiller à l'abri des regards indiscrets, comme vestige d'un temps qui fut mais ne sera plus.
Parfois, Célestin se sentait comme un fou entouré de personnes normales, qui le jugeaient, pour la moindre chose qu'il faisait. Il était différent pour plein de raisons diverses, allant de son éducation stricte en passant par sa vision du monde originale jusqu'à sa personnalité atypique.
Seul, assis sur la banquette près de sa fenêtre, Célestin s'était senti si seul soudainement, comme un coup de massue dans le ventre, une réalisation brutale de ses états d'âme. Serait-ce différent si il avait été justement différent ? Serait-il moins seul si sa personnalité se confortait à la norme ? Si il réussissait à se faire des amis facilement ? Si il aimait faire la fête, boire de l'alcool et à fumer ?
Ayant senti une vibration dans sa poche, Célestin sortit son portable et vit qu'il avait un nouveau message.
>> de Soso le S 💚💦
Hé ptit ange tt va bien ? 💛💛Il avait beau se sentir seul quelques fois, Célestin savait que tant que Solal serait présent dans sa vie, il ne le serait jamais totalement.
>> à Soso le S 💚💦
Ne t'en fais pas Solal. Tout va bien de mon côté. Merci de t'inquiéter mais je vais bien. On se voit demain.
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Dérapage Incontrôlé
Teen FictionCélestin était la caricature de l'élève doué : il passe ses journées à réviser chez lui, quitte à manquer les soirées organisées par sa bande de potes, et obtient de bons résultats en classe. Son meilleur ami, Solal, était quant à lui tout le contra...