Toute sa vie, on avait appris à Célestin à réfléchir, à utiliser son cerveau, à solliciter tous ses neurones afin de faire ressortir le meilleur de lui. On lui avait appris à développer un raisonnement, à analyser les situations, sans les juger. On lui avait donné des cours particuliers en français et en mathématiques pour perfectionner ses compétences dans ces matières, on lui avait enseigné des choses qu'on n'apprenait pas à l'école, on lui avait transmis l'amour ses sciences et la passion de l'histoire.
Grâce à cet enseignement hors du commun, Célestin avait appris à aimer apprendre. Là où d'autre ne voyait aucun intérêt, lui comprenait pourquoi il faisait ça, pourquoi il devait faire ça.
Mais si Célestin appréciait cet aspect particulier de sa personnalité, il devait avouer que parfois, il la maudissait. Il avait l'impression que cet enseignement avait creusé un fossé insurmontable entre lui et les autres jeunes de son âge.
Célestin n'avait jamais autant ressenti cette différence que depuis le baiser échangé avec Solal et depuis surtout leur discussion où il lui disait qu'il regrettait explicitement (et implicitement qu'il ne voulait pas de lui, c'était ce qu'en avait déduit Célestin). Le blond n'aurait pas dû être aussi étonné par ce rejet, quelque part, c'était évident.
Quand Solal passait ses nuits à faire la fête, Célestin travaillait d'arrache pied. Quand le bouclé avait déjà couché avec quelques personnes, le blond ne l'avait jamais fait. Quand l'un fumait à presque toutes les récréations, l'autre toussait dès qu'il sentait la fumée de cigarette.
Comment avait-il pu croire qu'il lui plaisait ? Comment avait-il pu croire qu'il voudrait sortir avec lui ? Comment avait-il pu croire que le baiser avait une quelconque signification ? Ses espoirs avaient été si grands, tout comme sa déception.
Célestin n'était pas fait pour Solal. Il n'était qu'un foutu petit ange qui ne savait même pas se débrouiller tout seul en soirée. Il était ignorant, naïf, différent.
Célestin détestait son enseignement, puisque c'était lui qui l'avait rendu ainsi. Il ne voulait plus être comme ça, être aussi... angélique. Il voulait montrer à tout le monde qu'il n'était pas l'adolescent ennuyeux qu'ils pensaient qu'il était. Il voulait vivre, il voulait boire, fumer, embrasser des gens sans qu'il n'y ait de conséquences, sortir en soirée.
Il en avait marre de cette vie qu'il menait. Que lui avait-elle apporté de toutes façons, à part une vision différente de la vie avec laquelle personne n'était d'accord ? Il en avait marre de faire ce qu'on attendait de lui, il en avait marre d'être ce qu'il était. Il se dégoûtait.
Quand Luke avait sous-entendu qu'il ne viendrait pas au match de foot, Célestin avait senti le besoin de le contredire. C'était peut-être son ego qui avait parlé mais il ne l'avait pas supporté. À tous les coups, c'était à cause de ce genre de chose que Solal pensait qu'il n'était pas assez pour lui.
Célestin allait changer ça. Il allait devenir un adolescent de dix-huit ans ordinaire. Il allait s'affirmer et ne plus se laisser marcher sur les pieds.
Il allait lui-même définir les règles du jeu, les règles de sa vie. Il n'allait plus accepter celles des autres, qui ne faisaient que le rabaisser.
Au delà de ses capacités, si l'enseignement de Célestin lui avait appris quelque chose, c'était bien la détermination et ne pas se laisser abattre. Il n'allait pas se morfondre sur sa vie. Il allait simplement la changer.
Il allait défier les lois. Il allait tout défier.
*
Ce ne fut que mardi soir que Célestin amorça la discussion avec ses parents, pour leur demander la permission d'aller au match de foot de Luke. Ils étaient assis au salon, vacant à les occupations, et n'avaient même pas relevé la tête quand Célestin était entré dans la pièce.
Il les avait regardé, ses doigts jouant nerveusement les uns avec les autres, et avait songé à faire demi-tour. Fuir la confrontation serait peut-être plus simple que de plaider sa cause, non ? Malgré son côté borné et déterminé, Célestin n'était pas du genre agressif, à se battre bec et ongle. Le plus souvent, il se pliait à la décision, ne voulant pas créer plus de conflits que nécessaires.
Célestin regarda la porte et se figea. Il pouvait faire demi-tour, seulement, il ne voulait pas. Il tenait à aller à ce match, même si c'était pour de prouver qu'il pouvait y aller. Il en avait envie.
Ses doigts arrêtèrent de jouer, ses poings se refermèrent. Il bomba inconsciemment le torse et s'avança davantage dans le salon. Il toussota pour attirer l'attention de ses parents. Cela ne manqua pas : ces derniers relevèrent le menton.
_ Qu'est-ce ce qu'il se passe Célestin ? Tu as besoin de quelque chose ?
Le ton de sa mère n'était pas doux. Il n'était pas dure non plus.
_ Eh bien... Je me demandais si je pouvais aller au match de foot qui a lieu vendredi soir. Luke le joue et il voudrait que ses amis soient présents pour le supporter.
Ses parents échangèrent un regard. Célestin n'eut même pas besoin d'entendre la réponse. Il le connaissait, ce regard. Il signifiait que ses parents n'étaient pas d'accord et qu'ils essayaient de trouver les bons mots pour le lui annoncer.
_ S'il vous plaît ! insista-t-il sans leur laisser le temps de refuser. Je ne vous demande jamais rien !
_ Chéri, écoute, commença sa mère d'un ton doux qui contrastait avec la vivacité du sien. Tu es fatigué en ce moment, ce n'est peut-être pas raisonnable...
On avait souvent dit à Célestin qu'il était facile de lire ses émotions sur son visage. À cet instant, ses sourcils s'étaient froncés, son mécontentement peignant tous ses traits.
_ Mais ça aura lieu vendredi soir, j'aurais tout le week-end pour récupérer !
_ C'est ce que tu nous avais assuré la dernière fois. Néanmoins, les retours de tes prestations lors de ton cours de solfège et de violoncelle étaient loin d'être brillants.
_ Ce n'est pas juste ! répliqua Célestin. Je ne peux jamais rien faire !
_ Ne nous parle pas sur ce ton, le gronda sa mère. Tu sais très bien que ce n'est pas vrai.
_ Si ! Et j'irai si je veux !
_ Célestin ! fit son père d'une voix ferme. Nous ne sommes pas d'accord. Tu n'iras pas. Va dans ta chambre. Maintenant.
Célestin les défia du regard, mais finit par abandonner et alla s'enfermer dans sa chambre, sans oublier de claquer sa porte pour montrer son mécontentement.
VOUS LISEZ
Dérapage Incontrôlé
Teen FictionCélestin était la caricature de l'élève doué : il passe ses journées à réviser chez lui, quitte à manquer les soirées organisées par sa bande de potes, et obtient de bons résultats en classe. Son meilleur ami, Solal, était quant à lui tout le contra...