Dans le long couloir, au travers d'une porte habillée d'une étroite fenêtre carrée couverte d'un rideau strié, une petite tête brune dépassa, furtive, les yeux à la recherche de n'importe quel élément étrange.
Or des éléments étranges, il y en avait partout, à commencer par le long couloir totalement blanc jonché de portes toute différentes les unes des autres qui s'étalait sous ses yeux.
D'un mouvement de tête, elle jeta un œil au décor de la salle d'interrogatoire, devenu absurde depuis qu'elle en avait percé le secret. De toute manière, elle ne pouvait pas rester ici. Elle devait trouver une sortie.
Le filament blanc serré dans ses deux mains, elle fit quelques pas timides et commença à arpenter le couloir. Alors qu'elle observait les portes, comme errant dans un magasin très étrange et au goût bien trop éclectique, l'une d'entre elles s'ouvrit juste devant elle à tel point qu'elle faillit la percuter. Entendant des voix, elle se cacha le long de la porte, n'osant plus esquisser le moindre mouvement, jusqu'à même simplement respirer.
— Franchement quelle fatigue... Celui-là, c'était la tristesse incarnée... Tuer sa propre femme et son fils...
— Je ne te le fais pas dire. Jouer leur rôle, c'était vraiment dur, répondit une voix de femme qui progressivement sembla se désincarner. Enfin... dis-toi que c'était pas à nous de gérer l'âme du gamin au moins, s'esclaffa la femme.
Il n'était pourtant en rien sûr qu'il s'agissait bien d'une femme. Avec ce rire, la voix devint plus profonde, plus gutturale. Cela éveilla la curiosité d'Enora, qui poussée par ce sentiment pencha légèrement la tête pour observer, mais la ramena d'un geste paniqué quand elle vit les deux propriétaires des voix étranges se diriger dans sa direction. Enora se plaqua sur la porte jusqu'à ne faire qu'un avec et regarda les deux personnes s'éloigner d'un pas rapide.
— Et Jrus ? reprit la seconde personne.
— Il a eu plus de chance, il a joué un commissaire bourru de la thématique spatio-temporelle Xps3.
— C'est plus joyeux que nous en tout cas. En plus, la transformation est tellement lente. Je me sens toujours à l'étroit dans les corps humains.
Le propriétaire de la voix, à présent soumis à la vue d'Enora, agita d'un mouvement las son bras, se débarrassant progressivement, dans une sorte d'onde parasite comme on le voyait sur les anciennes télés, de l'apparence d'une femme en larmes. Finalement, la peau prit un ton rouge foncé, des oreilles plus pointues se dessinèrent et des canines poussèrent le long d'une bouche dont les commissures s'étiraient dans un sourire. La chose, de toute évidence inhumaine, laissa sortir une queue pointue d'un pantalon large troué à l'endroit adéquat qui battit frénétiquement l'air.
— Ah ça fait du bien ! lâcha la créature en s'étirant. Vraiment dommage que les humains n'aient pas de queue. Je trouve que ça enlève beaucoup de possibilités d'enrichir le jeu. On pourrait fouetter l'air pour insuffler notre colère ! La laisser tomber de dépit et de tristesse, la...
— Oui, oui, je sais, le fan de comédie... mais les Hommes n'ont pas de queue donc tes idées, aussi riches soient-elles, n'ont aucune utilité.
La conversation continua ainsi, animée et rapide suivant le rythme hâté des deux êtres qui s'éloignèrent dans le couloir sans avoir remarqué Enora. Toujours plaquée comme si elle avait fusionné avec la porte, n'osant pas bouger le moindre de ses cheveux hirsutes de frayeur sur sa tête, elle finit par autoriser ses poumons à glaner une violente dose d'oxygène.
— C'est, quoi ce bordel..., finit-t-elle par chuchoter.
Elle avait appuyé chacune des syllabes, ses yeux tellement écarquillés qui menaçaient de prendre des allures de dessin de mangas pour jeunes filles.
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