— Et donc où étiez-vous ce 21 juin à cinq heures ?
Le policier avait lâché cette question pour la cinquième fois au détour de l'interrogatoire. Comme si répéter sans cesse ces accusations allait changer la réalité. Enora soupira bruyamment pour exprimer son profond ennui et tenta de se gratter l'arcade du sourcil. C'était sans compter les menottes qui, dans un tintement métallique, lui rappelèrent sa situation.
— Un trou de mémoire ? se moqua l'agent dans un sourire mesquin.
S'il existait, quelque part sur cette terre, le cliché parfait des pseudos détectives que nous vendaient les séries policières françaises de basse qualité, c'était lui. Drapé d'un long manteau d'un beige tirant sur un jaune douteux, l'homme avait posé ses deux jambes sur la table métallique qui le séparait d'Enora. Sa barbe, mal taillée et striée de trous, laissait entrapercevoir une qualité de vie bien médiocre. Pourtant, malgré cet apparat lamentable, il la regardait, l'air mauvais et sûr de lui, comme si son aura écrasante d'un charisme dont elle préférait ignorer l'existence, ne pouvait que la forcer à avouer.
Ne souhaitant pas entrer dans son jeu, Enora se rapprocha de la table et se contenta de lui offrir un regard sérieux.
— J'étais au cinéma.
— Au cinéma ? Seule ? Étonnant.
Enora ne put empêcher son sourire de s'élargir un instant face aux piètres tentatives de son interlocuteur. Malheureusement pour lui, elle ne perdrait pas son sang-froid. Ainsi, elle prit sur elle et haussa des épaules dans un élan de flegme parfaitement maîtrisé.
— Je préfère y aller seule. Le cinéma n'est pas forcément une expérience sociale, mais avant tout artistique.
— Ah oui, c'est vrai... vous « étudiez » le cinéma.
Les commissures des lèvres de l'officier s'étirèrent davantage et diverses rides parsemèrent son visage. Vieux et con, pensa Enora. Dire que la sagesse vient avec l'âge est un bien piètre mensonge.
« Encore ce sourire mauvais... »
— Tais-toi, gronda de manière imperceptible Enora en baissant la tête.
Ce n'était pas le moment. Un problème à la fois.
— Pardon ? demanda le policier.
— Oui, j'étudie le cinéma, souffla Enora tout en relevant la tête. En quoi cela concerne-t-il votre affaire ?
Elle éloigna sa main, encore maintenue par les menottes, de son bras où, d'une lenteur et d'une discrétion perfide, elle avait commencé à gratter son poignet jusqu'au sang. Ce geste, similaire à une mutilation, obéissait à un toc qui accompagnait Enora depuis l'enfance.
Elle plongea ses yeux marron dans ceux du policier, assaillis de lourds cernes témoignant d'une profonde fatigue. Le policier regardait fixement le poignet rougi d'Enora et fronçait les sourcils, suspicieux. Sans doute, y voyait-il un nouveau précieux indice dans son enquête ridicule.
— Vingt-quatre ans, en étude de cinéma, un job alimentaire... Vous manquez d'argent, Enora Wild ?
— Comme toute personne en cette période incertaine.
— N'éludez pas la question.
— Oui, je ne roule pas sur l'or ; non, je ne tuerais pas une personne pour cela, et si je peux me permettre, je...
— N'en dites pas plus, Mlle Wild.
Une femme venait de pénétrer dans la salle d'interrogatoire, un épais classeur coincé sous son bras gauche. Elle remonta ses lunettes aux verres rectangulaires qui ne faisaient que souligner son air sévère, et prit place à côté d'Enora. Cette dernière ne savait comment réagir, elle avait l'impression d'assister à un film dont elle était le sujet tout en n'étant qu'une simple figurante.
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