— Ah !
C'est dans un sursaut, suivi d'une inspiration mal assurée, que Roy ouvrit les yeux.
Tentant de calmer son rythme cardiaque par de longues et profondes respirations, l'octogénaire observa, sans comprendre, le décor qui l'entourait.
Ses yeux bleus, éclaircis par l'âge et la pâleur de sa peau, s'attendaient à voir sa chambre aux abords du port d'Honfleur, sur les murs ocres et l'architecture ancienne de sa petite maison où il passait une retraite paisible. Ses tympans, encore assommés par le sommeil, escomptaient entendre le tintement des verres de fêtards, trinquant de bonne humeur dès les premières lueurs du matin. Son odorat, devenu faible avec le temps, s'impatientait de retrouver la signature iodée de sa chère ville portuaire.
Pourtant, ni relent du port ni effluve des multiples mets vendus en abondance par les restaurants ne se faufilèrent dans ses narines. Ni chant des mouettes, ni cri de joie empli d'ébriété ne parvinrent à son oreille. Ni mur ocre ni architecture ancienne s'offrirent à sa vue déclinante.
Non. Rien. Juste un silence profond, une absence d'odeur si forte qu'elle en devenait une présence à part entière, le poussant presque à croire qu'il était victime de phantosmie, et un large mur d'une blancheur presque parfaite.
Roy était assis là, face à une simple télévision cathodique qui aurait pu lui rappeler sa jeunesse. Pas de chaleur provenant de son agréable couverture, seulement la froideur et la rigidité d'une chaise pliable de piètre qualité le long de son dos. À côté de lui, cinq autres sièges identiques.
Il fit pivoter doucement sa tête sur ses épaules pour ménager son squelette devenu bien trop fragile à son goût. Il remarqua que le schéma se répétait tout autour de lui. Il était ainsi dans une salle totalement blanche sur une chaise on ne peut plus inconfortable au sein d'un petit carré de vingt-cinq chaises vides regroupées en cinq rangées parfaitement alignées.
— Qu'est-ce...
— Bonjour.
Dans un cri, Roy sursauta violemment ce qui lui valut de tomber par terre, vulnérable face à une simple vieille femme. L'inconnue continua de lui sourire, imperturbable et de toute évidence incapable de comprendre la raison de sa surprise. Pourtant, cette dernière était des plus simples : elle n'était pas là, quelques secondes auparavant ! Mais installée confortablement, du moins autant que ces chaises pouvaient le permettre, sa présence ne faisait aucun doute. Son dos était voûté sous le poids d'un ennemi commun qu'il ne connaissait que trop bien et dont la force marquait également son visage de multiples rides.
— Vous avez besoin d'aide ?
La voix chevrotante mais posée de sa nouvelle compagne le sortit du flot incessant de ses pensées. Roy avait besoin d'aide ; son dos, disloqué sous le poids de l'âge, clamait ce même appel ; ses artères, depuis longtemps bouchées pour cause de mauvais cholestérol, hurlaient cette demande identique. Mais ce qui animait Roy plus que tout, le trait de caractère qui lui permettait encore de bouger sa vieille carcasse, c'était bien la fierté.
Ainsi, il se releva péniblement, d'abord à quatre pattes puis sur ses deux jambes mal assurées. Il finit par retrouver le confort inconfortable de sa chaise sans avoir accepté la moindre aide et regarda la femme.
— Excusez-moi...
— Brigitte. Du moins dans ma dernière vie.
Dernière vie ? La vieillesse avait au moins épargné sa santé mentale, ce qui n'était de toute évidence pas le cas de cette pauvre dame. Roy décida de ne pas poser davantage de questions sur ce sujet et se concentra plutôt sur leur situation actuelle.
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