Chaque jour [Bokuaka] (Inachevée)

1 - Bokuto

 Bokuto accéléra la cadence, ce qui lui valut l'apparition lente mais certaine d'une légère brûlure dans ses mollets. Pédalant en danseuse sur son vélo, il esquivait avec maîtrise les quelques coureurs matinaux qu'il croisait. Sa première course contre la montre remontait à sa première journée de lycée. Depuis, prendre son vélo alors qu'il pouvait très bien se rendre en cours à pieds était devenu son quotidien. Trois ans qu'il sacrifiait une bonne dose de coups de pédales contre quelques minutes de sommeil supplémentaires. Enfin, ce n'était pas comme s'il n'avait pas d'énergie à revendre après tout. Bokuto était connu pour ne jamais se fatiguer, comme le bon volleyeur qu'il était.

Ce matin encore il reconnut de loin cette silhouette familière, de dos, qu'il avait l'habitude de dépasser en tentant toujours un regard furtif dans sa direction, dans le but d'y observer ce magnifique visage ne serait-ce qu'une seconde.

Quand il rentrait après ses entraînements, Bokuto retrouvait le jeune homme en question, installé sur ce même banc tous les soirs, un livre en main. Il se délectait en secret de ces quelques instants où contrairement aux matins, il pouvait voir ce visage en entier, avec ces cheveux bruns soyeux et ses sublimes yeux bleu marine. Il arrivait à Bokuto lorsqu'il le trouvait si concentré sur les pages de son livre, de se demander si ce mystérieux lycéen le reconnaissait, tous les jours, comme lui il le reconnaissait. Il n'avait pas une seule fois levé les yeux dans sa direction. D'un côté, Bokuto rêvait de cette rencontre de regard, d'un autre, il n'avait pas envie de se faire prendre en flagrant délit.

En tout cas, le reconnaître au même niveau du parc tous les matins lui permettait au moins de savoir qu'il était arrivé à temps et que pour les quelques mètres qu'il lui restait il n'avait plus besoin de pédaler comme un dingue.

Ce qui était étrange était de ne jamais retrouver ce jeune homme quand il arpentait les couloirs de son lycée. Il portait pourtant son uniforme. Ou peut-être Bokuto préférait inconsciemment garder ces moments quotidiens uniques pour ses passages au parc. Comme si le croiser autre part reviendrait à briser la magie de ces instants. Même en savourant ce rituel, Bokuto finissait toujours par avoir une petite boule de frustration au creux de son ventre une fois la sortie du parc passée. Il voulait aller plus loin, tenter de l'approcher, de le rencontrer réellement. Dire qu'il n'en avait pas le temps, bien que cela soit la stricte vérité, restait une excuse que sa mauvaise foi lui offrait pour se donner bonne conscience.

Il était maintenant en première et il s'était mis à le croiser dès la rentrée de cette année. Peut-être était-il un élève de seconde ? Au bout de deux semaines, Bokuto s'était fait la promesse qu'avant la fin de l'année il irait au moins lui demander ce qu'il lisait, même si sa culture littéraire inexistante ne lui donnerait pas une si bon sujet de conversation -c'était la seule chose qu'il avait trouvé pour tenter de l'aborder-

Et puis ce matin-là il s'était regardé plus longtemps dans le miroir, inspectant son visage. Il avait mis un peu plus de déodorant, un peu plus de gel dans ses cheveux. Il s'était élancé dans le parc avec ambition mais n'avait pas fait le moindre geste différent de d'habitude une fois arrivée à la hauteur du mystérieux lycéen. Il se sentait pris par une boucle infernale quotidienne à laquelle il ne pouvait se libérer. Il se sentait surtout très nul. A chaque fois qu'il n'était plus loin du jeune homme, une sensation étrange le prenait. C'était comme si son cerveau cessait de fonctionner et que son corps devenait une simple machine.

Il fut d'une humeur si maussade toute la journée qu'il sortit de son entraînement plus tard que d'habitude. Lorsqu'il emprunta le chemin pour rentrer chez lui, le mystérieux garçon ne lisait plus mais marchait déjà, sûrement dans l'intention de retrouver son foyer lui aussi. Bokuto passa devant lui sans vraiment le regarder tant il s'en voulait encore pour ce matin. Il ne méritait pas de le voir ce soir. Mais quelques coups de pédales plus tard, il se laissa ralentir, les jambes s'immobilisant de part et d'autre de son vélo. Il prit une grande inspiration et fit demi-tour. Aujourd'hui était sa chance, quelque chose en lui en avait la conviction. Les mains agrippant fermement son guidon, il s'élança à contre-sens. Au détour d'un virage, il tomba sur le lycéen. Cela le prit de court. Il pensait le voir plus loin. C'était aussi la première fois qu'il le voyait totalement face à lui. Pour une fois, ils n'allaient plus dans la même direction tous les deux. Et bizarrement c'est comme ça qu'ils allaient se rapprocher.

Bokuto freina subitement tout en le dépassant une nouvelle fois. Un crissement de pneu sur le gravier fendit l'air et vint marquer le sol. La vitesse, qu'il avait toujours maîtrisée comme un chef jusqu'ici, sembla pour une fois lui filer entre les doigts. Il se retrouva éjecté de son vélo dans une tentative désespérée de dérapage. Il percuta le sol et ne se priva pas de se plaindre de la douleur qui n'était pas aussi grave qu'il le prétendait. Il se frotta le dos en se redressant pour être maintenant assis dans l'herbe. Dans son champ de vision apparut alors une main tendue vers lui. Étonné, il arrêta son geste et releva les yeux. C'était lui, avec son uniforme ajusté sur ses épaules, son regard étrangement calme en toute circonstance encadré de ses lunettes noires et de ses cheveux bouclant légèrement à l'extrémité de ses mèches brunes. C'est là qu'un océan submergea Bokuto dès la première seconde. Le bleu des yeux de l'inconnu était profond, et de toutes les fois où il les avait imaginés braqués sur lui, jamais il n'aurait pu deviner qu'ils lui feraient cet effet là.

- Est-ce que ça va ? Demanda sa voix calme.