Chap. 10 : été 1951

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L'arrivée de l'instructeur de Changbin, celui qui l'avait formé avant l'armée, fut la cause d'une légère agitation, surtout dans la tête de Minho. Le brun savait pertinemment que la période de guerre était un moment complètement déraisonné pour envisager l'amour.

Mais il voyait en Han Jisung une âme-sœur, le noiraud lui faisait de l'effet comme personne auparavant. Rapidement le lieutenant avait repéré ce jeune homme au petit gabarit, chaleureux mais intimidant, son aura le faisait vibrer d'une manière inexplicable et terriblement attractive.

Dans tout les tourments que Changbin lui faisait éprouver, c'était sa bouffée d'oxygène, son rayon de soleil dans le brouillard. Des discussions tard le soir une fois le grisé endormi, les sourires complices et les attentions discrètes.

Jisung voyait bien la détresse du lieutenant et était ravi de pouvoir l'aider dans cette dure période. L'instructeur était un garçon plein de ressources, d'une culture générale immense. Rempli d'anecdotes intéressantes, d'expériences drôles ou tragiques.

L'instructeur Han avait de la conversation. Il prenait tout à la légère mais était d'une force de caractère, d'un tact et d'une présence d'esprit impressionnante. Jisung, c'était un coup de vent dans la maison fermée depuis des lustres qu'était la tête de Minho.

Avec lui le brun se sentait bien, dans ses bras il se sentait bien, dormir avec lui il ne refusait pas. Le lieutenant se perdait dans les yeux de l'instructeur, le dévorait du regard. Les orbes du plus jeune pétillaient d'une vie et d'un malice sans pareils, qui réchauffaient le cœur vide de Minho.

Ah.. il l'adorait son noiraud.. Ses cheveux noirs de jais étaient assortis à ses cils qui mettaient en valeur ses iris dorées, d'un brun chaud et réconfortant.

Changbin, lui, était de plus en plus épuisé et épuisant, il vidait la batterie physique et mentale du lieutenant à une vitesse hallucinante. La patience de son supérieur était quasi nulle, le brun lui collait aux basques pour toujours garder un œil sur lui.

Il ne dormait pas tant que son subordonné n'était pas endormi, il mangeait aux mêmes horaires que lui, puis allait s'endormir dans les bras de Jisung, éreinté et en recherche d'attention.

Le printemps se laissait désirer, le soleil se faisait prudemment plus présent, réchauffant l'atmosphère. L'herbe repoussait de parts et d'autres des tranchées qui dégivraient peu à peu. L'hiver laissait place au printemps, à petits pas, presque timidement.

Changbin avait fini par hiberner comme un gros ours, dormant plus que de raison. La saison agréable qui s'annonçait le maintenait plus longtemps éveillé, le rendait plus vif et lui donnait un regain d'énergie.

Pour le meilleur mais aussi pour le pire, car Minho avait été contraint de le retenir fermement plusieurs fois, quand son corps se hissait trop haut vers les barbelés.

L'été 1951 passa, aussi rude que l'année précédente, et s'acheva en un hiver rude et froid. Les branches des arbres se brisaient, rendant les forêts dangereuses. La nature ravagée, déforestée pour construire des camps, la terre retournée et tannée par les explosions, plus rien ne serait comme avant.

***

Agenouillé au sol sur les pierres qu'il avait recueilli, Changbin admirait la petite pousse de son sapin de Corée – Abies koreana- qu'il avait planté au printemps dernier. C'était sa nouvelle activité, son occupation depuis un moment.

Au front il pensait à ce petit bout de vie qui poussait tranquillement devant sa tente au camp, ne se souciant de rien d'autre que sa croissance. Parfois un rayon de soleil transperçait les nuages noirs de cette fin d'août, caressant les premières branches du conifère.

Changbin lui parlait avant de dormir, quand il passait ses nuits au campement, plus qu'à Minho à vrai dire, qui lui s'occupait de son histoire d'amour naissante avec l'ancien instructeur du grisé.

Le soldat se sentait fou, vraiment fou de parler à une plante, d'en admirer les bourgeons. Un arbre majestueux qui pourrait peut-être un jour atteindre près de dix mètres de haut et trois à cinq mètres de large. Malgré sa croissance lente, son Abies koreana donnera probablement un jour de ravissants fruits de couleur violacée.

Mais c'était encore à voir, car après tout, l'avenir était incertain.

***

Le 3 septembre 1951, alors que les jours se faisaient de plus en plus courts, de plus en plus froids. Changbin avait tout juste vingt-et-un an et ce deuxième anniversaire dans les tranchées était catastrophique.

Pas d'attention particulière de la part de Minho exceptée une parole encourageante, ce dernier restant presque tout son temps avec le fraîchement nommé sergent-major, Jisung.

Changbin n'aimait pas le compagnon du lieutenant et le noiraud ne l'aimait pas non plus. Par ailleurs, il ne restait dans la boite du grisé seulement deux cigares auxquels il n'avait pas touché, qu'il réservait en cas d'extrême urgence.

C'est donc dans la soirée de ce 3 septembre déjà trop long que Changbin se rendit en courant vers Minho, qu'il le serra fort dans ses bras en tremblant, l'arrachant de l'étreinte de Jisung. Ce dernier roula des yeux en soupirant.

A ses yeux le grisé n'était qu'un gamin chouineur, un obstacle dans sa relation avec le lieutenant qui rassurait présentement le soldat en caressant son dos.

« - Eh.. Calme toi, qu'est-ce qui se passe ?

- J-je veux p-partir, j-je veux partir ! Laisse moi partir Minho ! Je t'en s-supplie ! »

Sous le regard suppliant de son subordonné, celui insistant de son amant, le brun était perdu. En l'espace de quelques secondes il effectua une rétrospection de la situation, avant de murmurer quelques mots à l'oreille du soldat.

« - Va. Tu es libre. Traverse ces putains de barbelés et survis. »

Sur-ce Minho le repoussa, lui plaqua un fusil automatique contre le torse et le tourna vers les tranchées.

« - Courage soldat, je t'aime de tout mon cœur Changbin. Ne m'oublie pas. »

Le grisé se calma instantanément et grimpa le long d'une échelle qui menait en haut des barricades. Un dernier regard en arrière vers son supérieur lui assura qu'il pouvait y aller, puis il enjamba les grillages barbelés, se mettant à courir comme un fou, le cœur battant la chamade.

Un Browning Automatic Rifle et une grenade à la main en plein no man's land, il courait sans le savoir vers sa liberté.

Cheveux dans le vent, yeux rivés sur la tranchée ennemie qui se rapprochait de plus en plus, les balles frôlant ses tempes, ses hanches. Une déflagration résonna, une douleur lancinante dans son épaule droite qui ne l'arrêta pas dans sa course effrénée.

Il avait eu un bon timing, leurs rivaux n'étaient pas à l'affût d'une quelconque attaque et encore moins d'une traversée aussi suicidaire. Mais Changbin courrait vite, très vite, avec une volonté de fer, une concentration à toutes épreuves, même celle des balles.

Un cri, sous la forme d'un ordre, retenti dans l'air froid qui composait l'atmosphère fébrile, un ordre qui intimait de cesser les coups de feu.

Le soldat s'élança, sauta les derniers obstacles et tomba tête la première dans les tranchées Sud-Coréennes. Changbin roula pour se relever et mit immédiatement son fusil en joue sur son épaule gauche, elle saine et immaculée de balles.

Son souffle était sec, rapide, ses yeux troubles et son palpitant totalement hors de contrôle. Nerveux, il était prêt à tirer sur quiconque tenterait une offensive à son égard.

Un jeune homme blond, aux cheveux inhabituellement bouclés s'approcha, il semblait être important car ses subordonnés s'écartèrent sur son passage.

Les deux jeunes adultes se fixèrent en chiens de faïence, un lourd silence pèsant entre-eux.

« - Bienvenu. »

Stone Heart [ChanBin]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant