ᴅᴇ́ᴠᴏɪʟᴏɴs ɴᴏᴜs ᴜɴ ᴘᴀʀ ᴜɴ

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Un coca et un thé glacé attendent solitairement sur la table.

Shinichiro et Himeno sont penchés sur la table, l'un vers l'autre. Ils partagent les secrets que partagent tous les amoureux et qui ne sont jamais prononcés à haute voix.

La brune lui attrape soudain en gloussant, la plaçant paume ouverte devant eux et dit :

— Imaginons que cette ligne dans ta main soit une rivière si profonde et large qu'il soit impossible de la traverser à pieds.

Shinichiro écoute attentivement. Himeno reprend :

— Si un homme veut traverser cette rivière agitée, comment doit-il faire ?

— Il se fait bushido parce qu'il a perdu son honneur. Tout les hommes devraient pouvoir traverser une simple rivière.

— Pourquoi tout doit finir comme ça avec toi ?

Ils rient tout les deux, tandis que la brune continue de jouer avec les doigts abimés de Shinichiro.

— J'en sais rien, finit-il par avouer, l'air un peu ronchon. Du coup ?

— J'en sais rien non plus. Je voulais juste te tenir la main.

Il rougit, un petit peu. Puis un large sourire niais qu'il ne peut empêcher étire son visage. Satisfaite, elle se tourne vers la fenêtre. Puis, elle ajoute avec une certaine mélancolie :

— Tu te souviens quand on s'est rencontré...

Il fait un petit geste de tête.

— Tu m'a dit que t'étais pas là pour manger.

Le jeune homme tapote tout doucement sur la table, les yeux rivés devant lui :

— Mon petit frère déteste mon autre petit frère.

— Je suppose que le verbe "détester" n'est pas exagéré.

— Je trouve qu'il correspond assez bien à ce que je vois, répond Shinichiro en se grattant la tête. C'est assez ignoble. J'ai l'impression qu'un jour ou l'autre, quelque chose de terrible finira par arriver. Mais ils sont comme deux continents. Impossibles à réunir.

— Se battre, c'est dans la nature humaine. Tu savais qu'il n'y avait eu que 230 années de paix, pendant les 3500 ans de l'existence humaine ?

— Intéressant, mais ce n'est pas le sujet.

— Au contraire, ça l'est tout à fait ! Si on ne se bat plus, qu'est-ce qui nous reste ?

— Rien, en ce qui nous concerne.

— Si tu veux mon avis, tant que tu es là, la chose la plus horrible qui puisse arriver est qu'ils se battent pour savoir qui est ton préféré.

— Tu dois avoir raison. Mais ça continuera à me tracasser jusqu'à ce qu'ils s'entendent.

Elle hoche la tête, attentive aux moindres signes pour le consoler. Mais il réanime la discussion aussitôt :

— Et toi, du coup ? Pourquoi tu t'asseyais à la table d'inconnus ?

— Je voulais avoir un impact et être au centre, pour une fois. C'est super agréable.

— Pas pour tout le monde. Ça fait flipper, tu sais ? Heureusement que je suis un charmant jeune homme.

Himeno fait alors une mine un peu mitigée, qui agace Shinichiro. Elle reprend alors en riant :

— Des fois, tu sais, je m'approchais, je m'asseyais et je disais juste "ils arrivent bientôt pour toi".

— Je suppose que dire "ils savent pour ce que tu as fait" marche aussi.

— Oui, mais la plupart du temps, ils réagissaient mieux avec "elle sait tout, excuse toi vite".

Shinichiro fronce les sourcils car il sait que c'est une phrase qui aurait fonctionné sur lui.

— Je faisais quelque chose d'horrible aussi parfois : je venais à une table où quelqu'un était seul et je m'inventais une identité en ajoutant "j'ai été enlevée il y a 10 ans, mais je ne peux rien dire, il me surveille".

— Tu es une personne terrible.

Et ils se mettent tout les deux à rire. Mais les rires se tassent tandis l'été tabasse la ville de ses pluies diluviennes. D'un coup, les idées d'Himeno deviennent plus claires. Elle reprend d'un air dramatiquement sérieux :

— J'ai réfléchi, il faut qu'on parte. Qu'on parte maintenant.

— Pourquoi ? Et où ?

— Parce qu'on en a la capacité. N'importe où.

Shinichiro est désemparé, déstabilisé. 

— Je rêve à cette vie d'indigène que personne n'a vécu depuis des décennies. C'est peut-être une illusion mais laisse-moi me rétamer dans la boue, histoire que je fasse quelque chose de moi-même, pour une fois.

Une fois qu'on goûte à la liberté, on ne veut plus que manger ça. Shinichiro le sait et a peur qu'elle se perde pour ne jamais revenir.

— Rien n'est complet dans cette ville, désespère-t-elle, on y laisse toujours quelque chose quand on y reste trop longtemps. Même les paysages se découpent entre urbain et aérien. Tu me croirais si je te dis que je n'ai jamais vu de vraie forêt ?

Elle reprend son souffle, les yeux pleins d'éclat :

— Je veux aller à Fukuoka, à Nagoya, à Osaka, Shinichiro. Je ne suis jamais sortie de ce département, bon sang !

Comme il reste silencieux, Himeno baisse un peu les yeux, sûre que son idée n'en était pas une bonne.

— Je veux juste un peu partir d'ici. S'il-te-plaît.

Son visage dégouline de détresse. Personne ne sait pourquoi mais quelque chose est pourri lorsqu'elle parle de sa vie ici. Alors, le brun comprend et répond :

— D'accord, on part. Demain, pendant la nuit pour que personne ne nous voit. Prépare quelques affaires, on filera sur ma moto en direction du Nord.

La brune serre un peu plus fort la main de Shinichiro entre ses doigts.

— Merci. Merci, vraiment.

Himeno parait si soulagée et son coeur décélère si vite, que son corps s'affaisse soudain sur la banquette.

— Je viendrai te chercher. Je te le jure, sourit-il en embrassant sa main.

Sans s'en rendre compte, leurs mains sont restées enlacées durant toute la discussion. Ils sont tout les deux persuadés que rien ne pourra jamais les séparer.

— Je t'attendrai devant chez moi, demain, à minuit.


mortifiée | tokyo revengersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant