Chapitre 5.3

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La descente était interminable et sa tante avait de longues jambes. Breva ne chercha pas à courir pour la rattraper mais prit son temps. De peur de se faire renvoyer et parce qu'il y avait beaucoup à observer. Son cœur battait la chamade, grisée qu'elle était de braver un interdit - ou du moins un non-autorisé. Elles croisaient des groupes de gens qui remontaient vers le phare et beaucoup admiraient le navire qui bénéficiait des dernières heures de soleil et irradiait avec majesté. En se dévissant le cou, Breva aussi était happée par sa beauté et son halo, même si la tour sombre semblait absorber la lumière et cherchait, selon l'angle, à dévorer l'aéronef tout entier.

Bien plus bas, derrière les rangées d'arbres qui bordaient la route aux pavés lisses, la ville se languissait. Comme le soleil se couchait et projetait déjà l'ombre de la colline et de la montagne sur la quasi-totalité des quartiers, de nombreuses lueurs prenaient vie de ci de là à mesure que les habitants allumaient les feux devant chez eux ou que l'allumeur de lampadaires faisait sa tournée. Il ne ferait guère plus sombre qu'au moment de l'aube, mais certains lieux communs se devaient d'être éclairés. Au contraire, la baisse de la luminosité mettait au jour des lieux qui avaient été allumés tout le jour durant, comme des forges ou les bâtisses des artificiers. Le feu et le métal étaient le cœur et le sang de cette ville. Breva le savait. Et elle brûlait d'y mettre les pieds, d'y étancher sa curiosité.

Mais si ses yeux et ses sens étaient braqués sur la ville qu'elle voyait se rapprocher inexorablement, son attention était toute fixée sur le dos raide de sa tante, sa démarche guindée et chaloupée.

Très vite, elle perçut chez Opaline un infime mouvement de tête vers l'arrière – et Breva fut persuadée que sa tante l'avait vue – immédiatement suivi d'un relâchement au niveau de ses épaules qui ressemblait à un profond soupir ou à un renoncement. Il n'en fallait pas plus à notre jeune blonde qui sourit pour elle-même et hâta le pas jusqu'à effleurer de son épaule le coude de sa tante.

Ni l'une ni l'autre ne prononça une parole. Pas un mot ne franchit leurs lèvres pincées. Mais celles de Breva s'étiraient en un sourire de satisfaction. Elle priait pour que sa tante ne le voie pas ou ne le prenne mal.

Elle ne demanda pas où sa tante se dirigeait. D'un côté elle s'en moquait ; de l'autre elle redoutait sa réponse. Dans tous les cas, elle le saurait bien assez vite et elle ne craignait de toute façon pas d'être en retard pour le départ du navire. Même si le fantasme de demeurer à terre au moment où le Maëlstrom s'envolerait s'imposait à son esprit comme l'envie folle de sauter depuis le bord d'un précipice, un morceau de son esprit restait attaché au rôle qu'on voulait pour elle à bord et les représailles qui l'attendaient si elle disparaissait pour ne pas le remplir.

Une parcelle de ses pensées paniquées. Un tesson de frayeur fiché à l'arrière de son crâne. Une griffe sur son tableau à laquelle sa tante n'offrait qu'une maigre protection éphémère. Le trouble grandissait en Breva à chaque pas et l'impression d'être observée ou poursuivie par son père se faisait plus forte à chaque mètre. Elle jetait de plus en plus de regards par-dessus son épaule, et sursauta même lorsqu'un passant éternua à côté d'elle. Sa tante se raidissait à chaque geste anxieux de la jeune blonde. À tel point qu'elle se retourna finalement d'un bloc, excédée. Il était clair qu'elle ne savait pas comment réagir. Breva eut l'impression qu'une statue de bronze déversait soudain son ire sur elle.

-Bon ça suffit, oui ? Rentre ma parole !

-Non.

L'effronterie la gagnait assez pour soutenir le regard d'Opaline. Même si dans le fond de sa voix perçait surtout la crainte. Elle ne savait pas trop ce que sa tante comprenait dans ses réactions ni ce qu'elle lisait sur son visage. Mais après quelques longues secondes à ne pas se lâcher des yeux, ceux d'Opaline lancèrent soudain des éclairs de colère.

De Nacre et d'OcreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant