Chapitre 1.3

32 8 7
                                    

Là, devant une échelle de corde, elle saisit une paire de gants d'une corbeille fichée dans le bois. Elle les enfila précautionneusement en rajustant les doigts car ils étaient trop grands pour elle. Breva avait conscience que si elle faisait la moindre gaffe, son père ne la raterait pas. Se brûler ou se planter une écharde dans la paume en faisaient partie.

Elle était en train de faire le double nœud marin autour du câble de sécurité auquel elle serait retenue durant tout le temps où elle serait sous la coque quand une paire de bottes pressée arriva à sa hauteur. Elle soupira. Regarder les autres en train de se démener à la tâche était une activité envoûtante, mais lorsqu'elle travaillait, elle préférait le faire seule. La présence d'autrui impliquait de devoir parler, et elle n'aimait pas parler. Surtout pas aux autres enfants. Malgré tout, elle se retourna comme Simoun, un jeune garçon de seize ans, la saluait avec bonne humeur. Il n'était pas très grand pour un garçon de son âge – bien qu'elle-même soit assez petite et n'ait somme toute pas grande matière à comparaison – mais ses mains épaisses trahissaient son expérience manuelle sur le navire. Il avait le visage fin avec un nez et un menton pointu. Il était blond et une mèche de cheveux également pointue lui tombait au milieu du front quand les côtés de son crâne étaient quasiment à raz. Elle le connaissait bien puisqu'il avait dormi dans les quartiers des enfants jusqu'à l'année dernière, mais elle le salua froidement. Simoun enfilait des gants : lui aussi allait descendre dans les filets de pêche et elle en fut secrètement rassurée. Au moins n'était-elle pas la seule à faire le travail ingrat. Et puis, Simoun était fort et un casse-cou aussi à l'aise qu'elle dans les cordages avec en plus un brin de folie qui le poussait parfois à faire le cochon pendu dans le vide.

-A priori c'est une pièce d'accastillage qui a lâché quand un buthon s'est pris dans les filets, expliqua-t-il en inspectant ses gants. Je vais réparer ça et je vérifierai les autres. D'après Joran, y'aurait des trous dans les filets, du coup. Faudrait que tu les répares... Eh, tu m'écoutes ?

Breva sursauta et rougit légèrement.

-Oui oui ! Je vais réparer les trous. Encore.

Mais Simoun ne releva pas l'amertume de sa dernière phrase. Il s'approcha et se pencha vers elle.

-T'as assez dormi cette nuit ? T'as les yeux rouges. Ils sont encore plus clairs que d'habitude. Déjà qu'ils sont super beaux. T'as pas pleuré au moins ?

Elle sentit le rouge remonter jusqu'à ses oreilles. Elle se détourna en marmonnant une réponse négative et entreprit d'enjamber prudemment le garde-fou. Dans son dos, le garçon rit et elle l'entendit sauter la rambarde et descendre l'échelle bien plus vite qu'elle. Elle prit soin que chacun de ses pieds ne ripât pas et, pas à pas, descendit à son tour, vérifiant toutes les minutes que sa ceinture contenant les crochets et le fil pour réparer les filets ne risquait pas de se décrocher. Certes elle n'avait pas la moindre envie de le faire et aurait préféré passer la journée entière sous son oreiller à parler avec son frère, mais elle saurait être appliquée et réparer toutes les déchirures.

Une fois sous la ligne de flottaison, elle ne put s'empêcher de jeter un regard autour d'elle. En poupe, le soleil bas éclairait le navire d'une lumière qu'elle appréciait énormément car elle donnait de la chaleur aux formes et aux couleurs, à défaut de réchauffer la peau et les os. Elle s'était habituée à ce soleil froid qui ne bougeait jamais. Au-dessus de l'horizon, à l'Est, la lune monstrueuse donnait à tout et tous une seconde ombre, laiteuse et non moins froide. C'était sa course à elle qui donnait une unité de temps aux journées. Elle se déplaçait dans le ciel, rendant tout plus léger de jour et tout plus lourd dès qu'elle disparaissait à l'horizon, jusqu'à reparaître de l'autre côté le lendemain. Breva adorait l'admirer ; elle se disait que la lune également se complaisait à être ainsi contemplée, blanche, pâle, énorme, tandis que le soleil restait timide, petit, immobile et aveuglant.

De Nacre et d'OcreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant