Chapitre 3.1

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En théorie, le Maelström évitait les stratus qui s'étendaient sur des kilomètres pour de multiples raisons.

Tout d'abord, en fonction des vents, ils pouvaient y dériver pendant de longues journées. Entourés de brume dans lesquelles – parfois – on ne pouvait pas voir la poupe du navire en se plaçant à sa proue, discerner les directions à prendre en fonction de la couleur des vents ou des étoiles dans le ciel devenait impossible. Une fois, ils avaient passés presque cinq jours dans une purée de poids impénétrable et Breva avait vu le timonier ainsi que l'Airitier rongés par la frustration de se sentir impuissants. À eux deux, ils étaient censés guider le navire dans de bonnes conditions et rallier leurs différentes escales au plus rapidement pour éviter aux poissons de pourrir et pour ne pas épuiser les stocks de vivres. Et s'ils échouaient, ils mettaient en péril la survie de l'aéronef entier.

Ensuite, le froid qu'il y faisait rendait plus que difficile la vie à bord. Pratiquement intenable. En temps normal, la température n'était pas élevée au-dessus des nuages, mais la présence constante du soleil – même glacial – empêchait les eaux de geler et le givre de se déposer sur les cordes, ballons, et planches de bois, entre autre. À l'intérieur des stratus, si les vents chauds ne venaient pas les porter, le navire entier pouvait être recouvert d'une couche de givre voire de glace qui menaçait la vie de toute la communauté puisque responsable de nombre d'avaries ou d'accident. Les histoires d'hommes ou de femmes tombés par-dessus bord à cause d'une glissade étaient fréquentes, alors les enfants restaient fermement enfermés pour éviter ces drames. Restait la solution du sel, mais ils n'en disposaient que d'une quantité limitée, et généralement utilisée pour la conservation des aliments périssables et pour faire sécher les filets de poissons soigneusement décortiqués, pêchés plus tôt, et revendus à bons prix dans les phares.

De plus, dans de telles conditions, le moral des habitants prenait un sacré coup. Sans compter Vaudaire et Aquilon (respectivement le timonier et l'Airitier) qui se retrouvaient démunis, le froid, le stress et l'absence de soleil pour animer les cœurs entraînaient immanquablement une hausse de toutes les tensions à bord. C'était simple, Breva avait appris à purement et simplement éviter son père lorsqu'ils s'engouffraient dans un stratus ; de peur qu'il ne fasse l'impasse sur une raison pour la gifler.

Autant dire que l'idée d'en traverser un ravit autant Breva que la perspective d'une semaine complète enfermée avec Sérin. Et peut-être même qu'elle aurait préféré.

Lorsqu'elle se réveilla ce jour-là, la lumière fade d'une journée nuageuse la mit immédiatement de mauvaise humeur. Le matin en question était déjà bien entamé et elle était la dernière à encore occuper une couchette. Elle se redressa lentement en prenant soin de garder sa couette au niveau du menton pour ne pas souffrir du froid plus mordant que d'habitude. Avec espoir, son regard balaya la salle pour discerner les éternels rayons de lumière pleins de poussière, mais tout restait désespérément vide. Incapable de donner une heure approximative, elle fut tentée de se laisser retomber sur son oreiller de plumes. Ce qu'elle fit sans grands remords.

Elle devait se lever mais n'en avait pas la moindre envie. Sa joue était encore toute boursouflée et sa hanche ainsi que son genou la faisaient souffrir. Peut-être que Kobalt ne remarquerait pas son absence. Ou mieux, qu'il en serait réjoui. Aussi resta-t-elle pendant de longues minutes à tenter de se motiver pour affronter la rigueur d'une journée nuageuse.

C'était sans compter sur le support soudain de son estomac qui décida finalement que le froid était une meilleure alternative à la faim. Avec motivation, elle repoussa la couette d'un geste brusque. Sautant à bas de son hamac, elle s'ébroua bruyamment en enfilant ses bas de laine sous ses pantalons puis elle enfila à la hâte un gros pull trop long dont elle serra les manches avec des ficelles pour la protéger du vent. Des grosses chaussettes et des chaussures usées vinrent parfaire sa tenue de frileuse tandis qu'elle se coiffait maladroitement, s'apprêtant comme si la précipitation avait eu une quelconque incidence sur la rigueur de l'air.

De Nacre et d'OcreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant