chapitre 1.4

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L'écho des deux poissons volants se fracassant le crâne contre la coque sembla durer une éternité. Le temps s'étira à l'infini avant que tous ne comprennent que les craquements du bois et les bruits caractéristiques des drisses qui se tendent n'étaient en réalité dus qu'au déploiement des trois panneaux amovibles sous le navire. Entre les bajoues des filets, suivant le mouvement du gouvernail, les longues planches se dépliaient et prirent le vent. Lentement mais avec détermination, le navire prit la tangente et vira à tribord. Il ne fallut que quelques secondes pour qu'il ne quitte le boyau migratoire, entraînant de nombreux nouveaux impacts avec d'obtus buthons.

Lorsque tout le monde se retourna vers Breva, certains gravissant les marches comme si la foudre était à leur trousse, ils ouvrirent des yeux aussi ébahis que ceux de Simoun, pétrifié de stupeur. Breva était en train de se redresser d'une main hésitante ... en s'aidant du gouvernail.

-Ah... euh... c'est pas moi... se défendit-elle piteusement.

Pour appuyer ses dires, et ce n'était probablement pas sa meilleure idée, elle tira de toutes ses forces sur le gouvernail pour remettre le bateau dans le droit chemin. Elle aurait tout aussi bien pu déclarer vouloir se faire greffer des ailes dans le dos. Aux cris d'indignation répondit le hurlement de rage de son père. Hors de lui, il franchit la distance qui le séparait d'elle en trois enjambées. Il avait toujours été capable de faire des pas de géant lorsqu'il était en colère, à tel point qu'elle n'aurait pas douté une seule seconde si on lui avait un jour dit qu'il portait des bottes de sept lieues. Elle évitait d'instinct de se trouver sur son chemin quand sa mâchoire semblait sur le point de se briser tant il serrait les dents. En cet instant, elle crut même voir son menton se fissurer sous la pression. La frayeur déserta Breva pour laisser place à l'effroi.

-J'le jure !

Elle aurait préféré qu'il crie.

Elle préférait quand il frappait avec la droite.

La chevalière à son annulaire gauche laissait toujours une ecchymose sous son œil pendant des jours.

De fureur, son père retirait toujours son écharpe. En dessous, son cou suait à grosses gouttes durant ses humeurs. Breva, face contre terre, les yeux aveugles de larmes et le souffle coupé de douleur, ne put voir qu'il renvoyait les autres à leurs tâches et rappelait le barreur pour redresser la trajectoire du navire. Elle sut juste que Simoun s'était attardé quand elle discerna le cri de son père contre lui. Il avait peut-être voulu la défendre ? Pourquoi l'aurait-il fait après tout : personne ne tenait tête à son père à part le capitaine, l'Airmite et quelques rares équipiers un peu plus fêlés que lui. Et puis, elle n'était même pas sûre que Simoun eut pu l'innocenter. Il lui tournait le dos quand le choc avait ébranlé tout le navire.

Sans la moindre volonté de se redresser, elle cherchait coûte que coûte à taire ses hoquets nerveux. Le goût du sang emplissait sa bouche. Elle eut peur de l'ouvrir alors elle se blottit au sol, les mains sur le visage. Piètre cachette pour gamine. Elle espérait juste que sa colère se calme ou qu'il la passe sur autre chose. Ou sur quelqu'un d'autre.

Finalement, c'est quelqu'un d'autre qui le calma.

Vint l'Airmite, drapé dans un ensemble de tissus et de châles bleus de toutes les nuances. Elle n'eut pas besoin de le voir pour savoir qu'il était là et comment il était vêtu : son père avait pris cette voix pleine de respect qu'il=n'accordait qu'à cinq personnes sur tout le navire et elle était capable d'entendre les bracelets de l'Airmite tinter dans les vents. Elle aurait reconnu ce bruit même les yeux fermés. Ce qui était – à vrai dire – le cas.

-Je m'excuse Sérin pour le comportement de ma fille. Elle sera punie pour ne pas savoir rester à sa place.

Le grand homme dépassait le mètre quatre-vingt. Le visage rasé de près et dont les traits étaient fins malgré son âge avancé, il marchait d'un pas sûr et sans canne. Il avait une carrure fine et altière et parlait d'une voix cassante comme du verre brisé, bien qu'il parlait toujours avec calme.

De Nacre et d'OcreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant