Dès le lendemain de son arrivée, je regrettai d'avoir accepté la compagnie de Paul.
Il avait passé une bonne partie de la nuit à se remémorer les bons moments passés avec Richard et Schneider – l'ego surdimensionné de Richard qu'il regrettait désormais d'avoir si souvent fustigé, et le côté si terre à terre de Schneider qui lui avait permis d'enfin voir les choses « comme un adulte » – dans l'espoir vain que je le suivisse dans la lancée ; ses souvenirs étaient si riches en détails que je m'étais endormi au milieu d'un récit de tournée, sans même avoir la décence de réagir à ses sanglots. Et évidemment, à mon réveil, le moulin à paroles était reparti de plus belle. Les sanglots en moins.
Il n'arrêtait pas de parler. Il parlait tellement que je n'écoutais quasiment plus du tout ce qu'il disait. C'est seulement quand j'entendais mon prénom que je réagissais, lui rappelant d'utiliser mon pseudo avant même de lui faire répéter l'énième question qu'il me posait. Il aurait pu m'exposer sa théorie concernant les meurtres une bonne dizaine de fois sans même que je m'en rendisse compte. Rien n'arrêtait ce flot de paroles que je n'écoutais plus, pas même le fait que je fisse semblant de lire le journal d'Adélaïde. C'était même pire ! Il regardait par-dessus mon épaule et commentait le contenu de la page. C'était insupportable.
Mais Paul a toujours été bavard. Il a toujours eu besoin de combler le silence par sa voix souriante – la seule différence, cette fois-là, étant qu'il souriait beaucoup moins.
Chaque matin, je tentai de trouver un moyen judicieux de m'éclipser sans qu'il me vît, mais il ne se laissait pas facilement berner par la fausse excuse me traversant l'esprit, et il me devançait toujours au réveil. J'ignore comment il fait d'ailleurs : dormir cinq heures et être pimpant dès le matin alors que je me traîne maladroitement comme un ours repu après dix heures de sommeil.
Pourtant, le temps filait, et avec la perte d'Ariane, j'avais loupé l'occasion unique de m'introduire dans la villa de Taylor, dont je n'avais même pas l'adresse. Or, impossible de fournir des explications sur mon objectif précis à Paul. Dès que la question de ma présence à Marseille revenait sur le tapis, je repérais tout de suite ce regard désapprobateur qui anticipait déjà mon absence de réponse.
Je voyais bien qu'il tentait désespérément de recréer un lien, qu'il n'était pas juste là pour me surveiller même si je ne cessais de lui reprocher le contraire. Mais je n'avais aucune envie d'être réceptif à ses remarques sur le délabrement de la ville ou les gens qu'on croisait lors de nos balades dans le vieux port.
Le manque qu'il ressentait suite au décès de Richard et Schneider était abyssal : là où je croyais percevoir juste une trouille de crever, je sais désormais qu'il y avait un vide de sens. Lui qui avait axé toute son existence autour du groupe, il avait perdu pied dès que celui-ci s'était retrouvé en pause forcée après mon incarcération, et cette pause devenant irrémédiable après les meurtres, il désespérait de retrouver cette cohésion de groupe, les moments tous ensemble, le rythme de tournée que nous avions. Il faut dire que Paul faisait des tournées l'occasion quasi unique de s'hypersociabiliser, invitant chaque soir de concert des fans – surtout des mecs – dont il s'entourait gaiement. Un peu comme...
'Comme des larbins.'
Je sais que je n'aurais pas dû utiliser ce mot. Son regard s'était durci dès que je l'avais lâché, après sa longue tirade nostalgique.
'Pardon ?' dit-il simplement après un silence.
Je n'osais trop répéter mais j'étais au bord de l'agacement – l'inaction forcée foutait en l'air mon projet de vengeance, et tout ça parce qu'il fallait consoler Paul ? J'avais autre chose de bien plus important à faire !
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Ich verstehe nicht (Incompréhension)
Mystery / ThrillerTill Lindemann en Rockeur-Vengeur - c'est ce que propose ce thriller sous couvert de fanfiction, où le groupe Rammstein fera face à des évènements d'une horreur inexplicable - évènements qui conduiront Till à agir à sa façon, de manière brute, après...