Quand je me réveillai, j'étais dans la même cellule que la veille, avec Richard, des cernes jusqu'aux joues, les cheveux emmêlés, à la place du radoteur. Si je me sentis coupable, c'était juste pour lui. Lui qui, d'habitude, était toujours tiré à quatre épingles, la mèche de cheveux teinte en noir et collée à sa joue exactement au même endroit que la veille, le teint parfaitement uniforme et rayonnant, les vêtements toujours bien assortis (ou presque), il ressemblait désormais à un mort vivant : le crayon avait coulé sous ses yeux, il avait l'air hagard, il regardait dans le vide. Lorsque je me redressai, il me jeta un regard dépité ; sans aucun mot, il me disait que j'étais le fautif. Et en toute franchise, je me sentis mal en le voyant ainsi. Mais je ne dis rien – je gardai tout pour moi. Une sale habitude familiale, ça.
Après quelques heures, on m'emmena dans une salle d'interrogatoire, où on me menotta à une chaise. Le chef-flic était dans l'encadrement de la porte, et parlait avec un de ses collègues jusqu'à ce qu'il se souvînt soudain de moi. Il me regarda de haut, puis soupira avant de venir s'asseoir en face de moi. Je ne vais pas vous raconter en détails l'interrogatoire. C'est sans intérêt. En résumé, le Patrick Taylor avait échappé au flic qui le surveillait dans l'autre hôpital en feignant la perte de connaissance ; il avait récupéré ses affaires sans peine et avait deviné qu'Adélaïde avait été admise à l'hôpital Queen Elizabeth simplement parce que c'était le plus proche de l'O2 Arena. Il avait déjà réussi à se rendre aux urgences de cet hôpital, demandé à la réception où se trouvait la chambre d'Adélaïde en prétextant qu'il était son fiancé, quand le flic distrait prévint enfin David Boyne, le chef-flic, qui fila à l'hôpital et me trouva en train de passer à tabac le Taylor. Pour arrêter « the big bull you are ! » Boyne utilisa son pistolet électrique, ou je-ne-sais-comment ça s'appelle. C'est ce qu'il me dit, dans son anglais toujours aussi bizarre, mais plus lentement, en articulant bien pour que je le comprisse.
Parce que le gros taureau que je suis, eh bien, il tua le Taylor. Le petit traumatisme crânien de la veille devint un hématome sous-dural, impossible à résorber. Au bout d'un quart d'heure sur la table d'opération, le connard avait clamsé. Et moi, j'étais en garde à vue pour homicide volontaire ; Richard pour complicité.
Je vous épargne le récit des mois suivants. Poursuites judiciaires, tout le tralala qui fit la une des journaux, et se répandit comme une traînée de poudre sur les fansites et les webzines du monde entier. Le Rockeur Vengeur, j'étais devenu pour les Français. The Avenging Metal Machine pour les Anglais. El Castigador Loco pour les Latinos. En Allemagne, on m'épargna les surnoms – on se contenta de me décrire comme un homme incontrôlable, n'ayant foi qu'en la loi du talion ; on ressortit la vieille histoire de violence conjugale avec ma deuxième ex-femme, pourtant classée sans suite ; on me fit passer pour un artiste se croyant au-dessus de la justice anglaise, prêt à tout pour se faire obéir par tous, martyrisant chacun des 210 employés travaillant sur notre tournée ; on me transforma en muscles sur pattes, au caractère impulsif, à l'esprit noir et pervers. De manière générale, les médias s'acharnèrent sur moi. Les fans, eux, semblaient aussi partagés que les membres du groupe, certains abasourdis, d'autres désapprobateurs : Schneider refusait de me voir ; Flake ne me parlait plus mais estimait important de faire semblant de me soutenir pour que Richard, au moins lui, s'en tirât ; Olli disait me comprendre mais désapprouvait sûrement ; seul Paul me défendait avec conviction devant les journalistes.
La jeune femme ? Adélaïde... Je ne suis pas sûr. Elle fuyait les journalistes – son visage, brûlé en majeure partie, lui rappelant chaque jour l'horreur qu'elle avait vécue – et je peux comprendre : elle avait besoin d'apprendre à s'accepter, à s'aimer à nouveau après l'atrocité qu'elle avait subie – pas de voir sa tête dans les journaux, pas de ressasser la nuit où elle avait perdu ses enfants, et son intégrité physique. Ce fut une surprise pour moi de la voir au procès pour témoigner, dans un sobre tailleur blanc, le cou emmitouflé dans un foulard noir – je n'avais plus eu une seule nouvelle, même pas par mon avocat, qui n'était pas sûr de la convaincre de venir jusqu'au jour-même de son intervention émouvante devant les jurés. Elle me sembla si distante, comme si dans ses yeux la lumière de vie avait disparu, et elle parla d'une voix monocorde, dans un anglais que je trouvai parfait.
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Ich verstehe nicht (Incompréhension)
Mystery / ThrillerTill Lindemann en Rockeur-Vengeur - c'est ce que propose ce thriller sous couvert de fanfiction, où le groupe Rammstein fera face à des évènements d'une horreur inexplicable - évènements qui conduiront Till à agir à sa façon, de manière brute, après...