Chapitre XI - Les préparatifs

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Mein Herz brennt nur

Mit einem Streichholz

Das deine Augen löscht

Und zeigt meinen Pol


Je fus longtemps interloqué par sa remarque. Mais elle avait raison. Que faisais-je donc encore à Paris ? L'origine du mal vivait près de la Méditerranée. Je devais m'y rendre sans plus tarder. Mais j'avais besoin de me déplacer en toute discrétion – pas que ma tête soit si reconnaissable pour un Français lambda, ou que mes blessures attirassent tant l'attention que ça un mois et demi après le passage à tabac, mais le nom qui figurait sur mon passeport aurait permis à quiconque, famille et amis mais aussi ennemis, de me pister. Il me fallait donc une nouvelle identité. Mais comment en forger une ? En RDA, j'avais connu les bonnes combines pour ça. Or, dans cet Occident du tout numérique, j'avais l'impression d'être un has been désœuvré.

'Tu as deux mille euros ?' me demanda subitement Ariane alors que je lui faisais part de mes doutes.

'Je suis multimillionnaire, je te rappelle,' ironisai-je, sans comprendre où elle voulait en venir.

'Tu me files deux mille euros, tu me laisses le temps de les convertir en bitcoins –'

'En quoi ?'

'En monnaie numérique – et je te sors un nouveau passeport de mon chapeau, sans problème.'

'Attends, attends. Comment peux-tu faire un truc pareil ?' demandai-je, cette fois soucieux.

'Darkweb.'

'Hein ?'

'Tu es trop vieux pour comprendre, Lindemann.'

C'est ainsi qu'elle m'appelait depuis le soir où j'avais essayé de l'emballer, clairement en vain. Avec la célébrité, les râteaux se font rares : j'avais presque oublié la désuétude qu'on pouvait ressentir après – et surtout cette impression coquine que la femme convoitée nous devient désormais supérieure en tous points.

***

Ariane n'avait pas annoncé de délais quand je lui remis les coupures de deux cent euros en main ; et elle précisa relativement peu de choses concernant ce faux passeport, sur lequel mon nouveau nom, Friedrich Mühe, figurerait.

'Tu ne peux pas vraiment te faire passer pour autre chose qu'un Allemand, franchement,' se justifia-t-elle alors que j'objectais qu'une autre nationalité serait plus appropriée.

J'attendis donc plusieurs semaines ainsi, dans l'inconnu, en parcourant souvent Internet à la recherche d'infos sur Ralph Taylor, ou même sur sa femme, Hélène de Maistre. Je voulais surtout leur adresse mais je ne trouvai que leur CV : un sénateur américain qui avait bossé pour la NSA – ou y travaillerait encore – venu en France pour peut-être espionner les propositions de contrats de la part de grands industriels français (c'est du moins ce qu'affirmait un journaliste de la presse indépendante, endetté par un procès en cours), était tombé sous le charme de la seule héritière du premier milliardaire français, lors d'un « rally » comme ils les appellent. Une « mésalliance, » disaient-ils sur les sites people, un « mariage d'amour peu conventionnel qui a mené à une horrible tragédie. » Un bon débarras, j'aurais dit. Leur fils unique Patrick Taylor était dépeint comme le gendre idéal – quelle bonne blague – qui aurait eu « le caractère fougueux de sa mère en matière de sentiments, préférant les filles simples plutôt que les femmes de son rang, pour son plus grand malheur » – quel ramassis de conneries ! Leurs vulgaires histoires de bourgeois ne m'intéressaient pas mais elles étaient partout sur le web.

Ich verstehe nicht (Incompréhension)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant