Heureusement que mon procès avait été expéditif : c'est pendant l'automne 2011 que je sortis de taule. La seule chose que j'en tirai ? Une amélioration relative de mon accent en anglais, surtout pour l'argot de prisonnier. D'ailleurs, c'est ce que je répondis à la question, soit condescendante, soit bienveillante, de Flake, qui vint me chercher en Angleterre avec ma mère, ma fille aînée et Paul. Flake était là surtout parce qu'on avait réussi à se réconcilier peu de temps avant ma sortie. Un coup monté par Paul, en fait : il avait réuni Richard et Flake chez lui pour une discussion salée à mon sujet, qui s'était conclue sur un tour en avion et une visite taciturne à la prison.
Dans la voiture en direction de l'aéroport, Flake, Paul et Nele affichaient une bonne humeur par une façade souriante, espérant peut-être me redonner un semblant de joie de vivre. Ma mère, elle, ne souriait pas. Elle sourit très rarement à vrai dire. Moi, je parlais peu – mes réponses à mes accompagnateurs se résumaient à des monosyllabes car je n'avais pas envie de parler, pas envie d'écouter les nouvelles des autres, les soucis de chacun – je n'avais envie que d'une chose : rentrer chez moi, tourner la page sur ce qui s'était passé, revivre pour de bon. Et pendant que Paul me complimentait sur mon physique d'athlète que j'avais su conserver (« Une année de taule, c'est plus motivant qu'un coach, » lui répondis-je – ma plus longue phrase du voyage), je repensai à Adélaïde.
Elle n'avait pas répondu à mes deux dernières lettres, ce que j'avais trouvé très bizarre car elle était pourtant une correspondante assidue, à raison de deux lettres par mois. Je m'étais tellement inquiété que je lui avais même téléphoné – pour un coup de fil à l'étranger, il me fallait l'autorisation du directeur de la prison, que j'avais finalement obtenue une semaine avant ma libération – mais j'étais tombé sur sa messagerie. Entendre sa voix hésitante débiter du français que je ne comprenais qu'à moitié m'avait laissé quelques frissons...
J'avais du mal à la revisualiser, vous savez. Je crois que c'est Nabokov qui parlait de deux types de mémoire visuelle : l'une où l'on « recrée une image dans le laboratoire de l'esprit » et l'autre où l'on « évoque instantanément la réplique objective » (ou alors « optique » ? Je ne me souviens plus) du visage qu'on essaye de se rappeler. Ma lecture remontait à peu de temps quand j'y pensai dans la voiture, mais aujourd'hui, les mots précis ne sont plus que de vagues souvenirs. Et impossible de sortir de chez moi pour trouver un exemplaire du bouquin – vous comprendrez pourquoi à la fin de mon récit. Que disais-je ?
Quand on se remémore quelqu'un, on pense à son visage généralement – ou à ses manies, ses petits tics, voire à son parfum si perdure une certaine sensualité dans les sentiments. Or, pour Adélaïde, je n'arrivais pas à me souvenir, comme si mon esprit faisait un blocage pour des raisons que j'ignorais – ou que je préférais ignorer.
Dans ma dernière lettre, justement, je l'avais encore encouragée à prendre rendez-vous pour cette reconstruction faciale dont on lui avait parlé. Elle était hésitante, craignait surtout de ressortir de l'opération pire qu'avant, ou d'avoir trop d'espoir dans cette chirurgie, et donc d'en revenir déçue ; peu importait la réussite potentielle...
'Tu as des nouvelles d'Adélaïde ?'
J'avais posé la question dans l'avion, en regardant droit devant moi, là où s'était trouvée la tablette fixée au dos du siège situé en face et où mon visage s'était reflété dans l'écran noir. J'étais assis côté fenêtre et Paul, à ma gauche, s'était probablement demandé si la question lui avait été destinée ou non. Je m'étais tourné vers lui.
'Alors ?'
'Ben... non. J'allais te poser la même question en fait.'
'Tu ne l'appelles plus ?'
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Ich verstehe nicht (Incompréhension)
Misterio / SuspensoTill Lindemann en Rockeur-Vengeur - c'est ce que propose ce thriller sous couvert de fanfiction, où le groupe Rammstein fera face à des évènements d'une horreur inexplicable - évènements qui conduiront Till à agir à sa façon, de manière brute, après...