Chapitre 7 - Le rituel

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– Papa ? Maman ? Qu'est-ce que vous faites dans ma chambre ?

Les voilà tous les deux penchés au-dessus de moi, m'auscultant comme si j'étais mourante, ma mère pleurant comme jamais.

– Ça va ? tu ne te sens pas bizarre Hélène?
– Euh non, mais vous vous êtes bizarres. Je m'assoupie deux minutes et je m'réveille avec tout un public. Qu'est-ce que vous faites là ?
– T'es sûr que ça va ?
– Mais oui j'vous dis. Vous commencez à me faire flipper. Merde, elle est où l'enveloppe que j'ai posé ici tout à l'heure ?
– Toute à l'heure ? Mais ma puce c'était hier. On t'a pas vu de la journée et tu viens de réapparaître à l'instant dieu seul sait comment !
– Ah ah ah très drôle papa. Bon si c'est une blague c'est franchement pas marrant.
– Malheureusement non. J'aurai vraiment voulu que ça en soit une tu sais.
– Mais qu'est ce qui se passe?! On m'explique là ?
– Je vais essayer de te raconter ce que je sais ou plutôt ce qu'on m'a communiqué aujourd'hui. Mais d'abord habille toi et prépare toi à sortir. Laisse-moi juste le temps que je m'occupe un peu de rassurer ta mère. Fais-moi confiance pour une fois.

Le visage de mon père est blême. Je commence alors à prendre conscience que ce n'est pas bon du tout. J'ai jamais vu mon père dans un tel état et je pense pas que ce soit le meilleur moment pour le torturer.

– J'vais pas m'envoler, allez c'est bon. Sortez de ma chambre que j'enfile quelque chose.
– Ok, rejoins- nous dans le salon quand t'es prête.
– Allez-y, j'arrive.

Mon père m'apprend alors assez vite que John est actuellement enfermé dans un commissariat du centre de la ville. Ce qui a la base devait n'être qu'une simple procédure de contrôle et de vérification d'emploi du temps c'est avéré plus compliqué quand ils ont appris que j'avais de nouveau disparue de ma chambre au petit matin. Suite à quoi mon père m'avoue non sans gêne avoir ouvert l'enveloppe et lu ma lettre écrite la veille au soir. Je reste comme paralysée devant ce flot d'informations surréalistes qui émanent de celui qui a toujours été mon pilier dans la vie. Les services de police m'ont cherché toute la journée sans résultats. Faute de mieux et ayant lu ma lettre, ils ont fini par se renseigner auprès d'une personne qualifiée sur l'histoire d'Angkor et de ses temples. Ce que cet homme leur à appris me glace le sang au fur et à mesure que mon père me le retranscrit le plus calmement possible.

La salle dans laquelle nous avons échoué est en fait une sorte de salle de mariage de l'époque de l'empire Khmer. La tradition à l'époque imposait une sorte de coutume autour de cet évènement très important. Les Hommes et les femmes du village ne devaient plus se côtoyer durant l'équivalent d'un mois lunaire puis finalement se retrouver dans cette fameuse salle de cérémonie. La séparation des deux genres était poursuivie jusqu'à la fin du rituel. Les hommes restant du côté lumière (Soleil) de la salle et les femmes côté Ombre (lune). S'ensuivait une sorte de méditation générale afin atteindre le moment tant attendu par les futurs époux. L'union sacrée de l'arche de Ta Prohm. Pour concrétiser ce mariage, les deux futurs mariés devaient l'un l'autre traverser la salle pour se retrouver sous l'arche symbolisant leur amour éternel de jour comme de nuit. Les festivités se poursuivaient ensuite durant la totalité d'un autre mois lunaire.

– Et d'après ce même historien, vous auriez en quelque sorte inversé la symbolique de la cérémonie en passant sous l'arche du même côté ensemble. Ce qui devait être à la base l'union éternelle du jour et de la nuit serait devenue son contraire. Une sorte de désunion immuable. Le plus terrible c'est que si cet homme a vraiment raison, le seul moyen d'arrêter tout ça serait que vous repassiez tous les deux sous l'arche dans l'autre sens. Mais j'ai bien peur que ce ne soit plus possible si tu es là uniquement la nuit et John en journée.
– Mais Papa, tu te rends compte de ce que tu me raconte. C'est juste de la folie ! Tu es en train de dire que je vais rester à jamais comme ça ?
– Je sais ma chérie et j'ai toujours du mal à le croire et surtout à l'accepter. Mais tout à l'heure tu n'étais plus là et te revoilà de nouveau à me parler. Quelle idée j'ai eu de faire ce voyage. Je savais dès le départ que ça m'apporterais rien de bon. J'ai encore tout foutu en l'air.
– Je sais que ça partait d'un bon sentiment. T'as pas à t'en vouloir. C'est encore moi qui en a fait qu'à ma tête et qui écoute jamais ce qu'on me dit. Excuse-moi papa.
– C'est rien. C'est pas ce qui est le plus préoccupant ce soir. Quoi qu'il arrive on ne pourra pas rentrer tant que tout ça n'est pas tiré au clair pour tout le monde. D'ailleurs, on doit partir pour le commissariat au plus vite. Il attendait de te voir bien vivante avant de libérer ton ami John.
– John ! Il va bien ?
– Apparemment oui mais aux dernières nouvelles il s'est évaporé de sa cellule de détention. Mais maintenant on sait pourquoi.
– Ah. Oui... Cette satanée malédiction. Ça veut dire que je pourrais toujours pas le voir.
– J'en ai bien peur. Je sais que c'est dur mais malheureusement si on ne trouve pas de solution, il faudra te faire à l'idée de ne plus jamais le revoir.
– S'il te plaît papa. Ne m'dit pas ça. Je veux même pas l'imaginer un seul instant.

Le trajet s'est déroulé dans un silence oppressant et l'escale au laboratoire d'analyse médicale n'a pas facilité les choses. Par mesure de sécurité, les autorités m'ont demandé de me soumettre à toute une série d'examens et de prises de sang avant de m'emmener au commissariat. Chose faite, me voilà maintenant dans une sorte de salle de réunion en présence d'une bonne trentaine de personnes. Ça commence bien. On me dévisage comme une bête de foire quand j'entre dans la pièce. La présence des parents de John me rassure mais très vite j'éprouve un terrible sentiment de culpabilité envers eux. C'est vrai que c'est moi qui ai insisté après leur fils pour qu'il m'accompagne dans cette petite virée qui s'est mal terminée. La mère de John se lève aussitôt et fonce vers moi les yeux rougis de pleurs. Je m'attends alors au pire en me protégeant honteusement le visage de mes avants bras. A ma grande surprise, c'est une étreinte pleine de compassion qui me submerge. C'en est trop... Nous voilà toutes deux à pleurer bruyamment pendant que les hommes essayent désespérément de garder leur contenance. Entre les larmes, la mère de John tente de me rassurer en me demandant de ne pas chercher un coupable dans cette histoire invraisemblable. Personne n'aurait pu prévoir une telle chose.

Parce qu'il le fallait, un homme rompt soudain ce moment d'émotion intense en claquant fermement la porte.

Un peu d'attention s'il vous plaît ! Je vais être assez bref et essayer de vous communiquer les décisions prises concernant cette mystérieuse affaire de disparition, ou malédiction. Appelez ça comme vous voulez. Pour ceux qui ne me connaissent pas encore je suis Mr Laktar Paku, Agent interprète dans ce commissariat ainsi que pour l'ambassade Française au Cambodge. Ce qui pour nous ressemblait au départ à une simple histoire de disparition a très vite pris une tournure assez déroutante par la suite. Comme vous le savez tous désormais, nous aurions affaire à une sorte de malédiction survenue dans une des salles encore inexplorées du temple de Ta Prohm. Aucuns des experts et historiens n'avaient eu encore affaire jusqu'à présent à un phénomène aussi inexplicable. Toujours est-il qu'actuellement aucune solution n'a été trouvée pour stopper ces disparitions successives. Les premières constatations et analyses sanguines n'ont pas décelé non plus d'anomalies expliquant ce phénomène. La situation est telle qu'aujourd'hui, Hélène ici présente se retrouve contrainte à disparaitre au lever du jour contrairement à John qui lui retrouve consistance en journée et disparaît la nuit. Enfin, mes supérieurs vous ont réuni pour vous faire part de leurs plus grandes excuses concernant leur impuissance à pouvoir trouver une solution. John est bien sûr hors d'état de cause concernant cette affaire et sera libéré dès la fin de cette réunion. Pour ce qui est de la suite vous concernant, vous êtes libres de rentrer chez vous. Cependant, nous resterons disponibles et nous vous tiendrons au courant de toute information susceptible de vous aider. Des copies de vos dossiers sont déjà dans les mains des autorités compétentes dans votre pays et les analyses médicales suivront très bientôt. Chaque famille sera escortée à nos frais jusqu'à son domicile. Vous êtes de fait aussi nos invités à vie au Cambodge. Des questions ?

– C'est tout ? Vous êtes en train de nous dire que vous n'avez pas la moindre idée de comment régler tout ça ? En gros vous vous débarrasserez de nous. Je vais dire quoi à mon fils quand il réapparaîtra ? « Salut John ! tu sais, tu es condamné à ne plus jamais voir une seule nuit de ta vie mais estime toi heureux on nous autorise gentiment à rentrer chez nous ». on en restera pas là croyez moi. J'engagerais des procédures contre vous dès mon retour.
– Je suis vraiment désolé mais ça dépasse nos compétences. Je pense que la priorité pour le moment est que chacun d'entre vous retrouve un semblant de vie normal. Même si j'en conviens que ce sera difficile dans de telles circonstances. Nous continuerons à tenter de trouver un moyen d'inverser le processus mais il faudra bien vivre avec en attendant. Je reste jusqu'au retour de votre fils pour lui expliquer ce qu'il en retourne. Hélène, n'hésitez pas à nous appeler si quoi que ce soit vous revient en mémoire. Je ne peux que vous souhaiter bon courage dans cette épreuve.

– Attendez ! Je peux vous demander juste un service ?
– Oui bien sûr je vous écoute.
– La lettre qui était pour John vous l'avez toujours ? Vous pouvez la lui donner pour moi ?
– C'est ce que je comptais faire. Aucun problème. D'ailleurs il serait plus sage pour vos deux familles de garder et d'entretenir un contact régulier. Vous partagez un lourd fardeau et ça ne sera pas de trop d'avoir des amis qui pourront vous comprendre. Je vous présente encore une fois toutes mes excuses.

Le Rituel (L'arche de Ta  Prohm)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant