Episode 1

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Le dianographe – Episode 1

C'était une machine prodigieuse. Il suffisait de raccorder un câble muni à son extrémité d'une électrode qui se connectait au lobe frontal et voilà que la magie opérait. Tous les mots que nous avions en tête apparaissaient sur l’écran. Elle l'avait inventé pour moi. Elle disait qu'elle sentait bien que j'avais toujours le cœur au bord des larmes tant il était trop plein de mots dont je n'arrivais pas à me vider la tête et que l'écriture, à ce stade, n'était plus suffisante. Qu'il fallait pouvoir laisser le flux s'écouler aussi aisément que le pus s'écoule d'une plaie. Elle avait inventé cette machine quelques mois après notre rencontre.

Je peux vous raconter notre histoire si vous le souhaitez.

Ça a commencé un soir d'été. C'était en juillet. Et il n’arrêtait pas de pleuvoir. Comme depuis trois semaines en vérité. Il pleuvait tant que moi j'avais décidé de mourir. Bon, soyons honnête. Il n'y a pas que la météo qui m'avait décidée. J'aurai probablement tenté la chose même par un temps caniculaire.
Mais disons que cet été-là avait été un peu plus compliqué que les trente-deux précédents alors bon, je m'étais dit.. Ma foi. Je n'avais pas en soi envie de mourir pour tout vous dire. Disons, que j'avais plus envie de cesser de ne pas vivre. Tout autour de moi était jusque-là insipide, sans couleur. Je n’arrivais pas à trouver le truc, l’étincelle, le moteur. Non, la vie, ce n'était vraiment pas mon truc. J'avais l'impression que l'on m'avait offert un cadeau sans m’en remettre la notice. Aussi étais-je désespérément noyée dans une vie que j'étais incapable de supporter.
J'avais décidé de mettre fin à mes jours en m'allongeant sur les rails d'une voie ferrée. Musique sur les oreilles. J'avais laissé ma liste musicale défiler, me demandant si le train me passerait dessus sur les notes de Supertramp, Queen ou Genesis.
Carlos Santana jouait l'air de Black Magic Woman lorsqu'elle est arrivée. J'ai bien cru que j'allais finalement mourir d'un arrêt cardiaque car avec le son dans les oreilles, je ne l'avais pas vu arriver. Elle s’était positionnée debout au niveau de mes épaules et elle avait penché sa tête au-dessus de moi. La pluie avait cessé car elle tenait un grand parapluie bleu au-dessus de nos têtes. J’avais ouvert les yeux et à sa vue j'avais poussé un petit cri aigu, d'un ridicule quand j'y repense. Elle avait ri, m'avait fait signe de retirer mon casque et dès que j'avais obtempéré, m'avait demandé d'une façon bien trop amusée à mon goût :

- Rassure-moi, tu n'attends pas sur ces rails qu'un train te passe dessus ? En plus, regarde, ce n’est pas près de s’arrêter de pleuvoir, c’est tout noir au fond !

Et sans ménagement, je lui avais répondu :

- Qu'est-ce que ça peut te foutre ? Fous-moi la paix!
- Je veux bien mais juste pour t'avertir que si c'est le cas, il n'y a plus aucun passage sur cette ligne depuis deux mois. Il y a des travaux un peu plus haut... Mais si tu patientes encore quatre mois, le trafic devrait reprendre ! T’as prévu une glacière, t’as de la bouffe pour patienter ?

Je m'étais aussitôt redressée, me sentant aussi stupide que déboussolée. Elle s'était assise sur les rails, en face de moi et avait ajouté :

- Non parce que, au pire tu mourras de soif. Ou de faim... Non je crois que l'on meurt de soif en premier... Attends...

Elle avait sorti son téléphone portable et d'une moue boudeuse avait dit :

- Merde, j'ai même pas de réseau, je peux pas vérifier. Bref. Tu ne mourras pas aujourd'hui, pas comme ça en tout cas !
- Crever déshydratée, ça m'ira très bien ! Maintenant fous-moi la paix, j'te dis !
- Impossible. Si je me barre et que tu meurs, on peut me retrouver et me foutre un procès au cul pour non-assistance à personne en danger. Pire ! On peut m'accuser de t'avoir tuée... Mon téléphone a borné ici, il peut y avoir des témoins.
- Tu ferais mieux d'arrêter les séries policières, on n’est pas dans les Experts, hein...
- Certes mais mieux vaut être prudent. Je n'ai absolument pas envie de finir dans un numéro d'Enquête Criminelle... Bref... Je t'offre un verre pour stopper le processus de déshydratation ou tu attends là que la SNCF relance le trafic ? Si on compte les mouvements de grève, on peut partir sur une année complète !

Elle m'avait fait rire à cet instant, je dois bien l'avouer. Enfin, pour être tout à fait honnête, elle m'avait déjà fait rire avant, mais j'avais tenté de garder un minimum de tragique à ma situation. Et j'avais répondu :

- Pourquoi pas. Je peux remettre mon suicide à plus tard. Pour mourir, on n’est pas à un jour près.
- Ni même à deux ! Je m'appelle Leïla et toi, tu as un prénom où on reste sur la fille de la voie ferrée au suicide mal organisé ?
- Maud.
- Ah Maud, c'est bien aussi.

Voilà comment Leïla est apparue dans ma vie alors que je voulais en finir.

Un train est passé sur la voie quatre minutes et quarante-huit secondes après notre départ.
Leïla était une bonne bluffeuse. Quatre minutes et quarante-huit secondes plus tard et j'y serais passée.
Leïla ne m'aurait jamais rencontrée.

Leïla n’aurait jamais…

Je veux bien continuer à vous raconter son histoire, la nôtre, mais je préfère vous avertir, ce ne sera pas toujours des moments joyeux. En même temps, quand ça commence par une envie de suicide, vous imaginez bien qu’on n’est pas sur le dernier album de Chantal Goya. Et puis, vous savez ce qu’on dit « la vie, c’est comme un arc-en-ciel, on a besoin à la fois de la pluie et du soleil pour en voir les couleurs ». La pluie était bien au rendez-vous ce jour-là. Puis Leïla est venue la chasser.

Alors, voilà.

J’ai rencontré Leïla un jour pluvieux de juillet. Et cinq ans plus tard, la vie nous a séparées. Mais je vais bientôt la retrouver.
Pas six pieds sous terre, comme vous pourriez le penser. Mais là où vous n’auriez jamais imaginé.

Avant de vous dire où, j’ai juste deux, trois trucs à vous raconter…

Le dianographeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant