Hell's Sky : Partition amoureuse (#2)

Surprise !

LUNA

J'ai toujours cette étrange impression lorsque je traverse l'interminable couloir menant à ma chambre. Celle d'être coincée dans une boucle temporelle qui me ramène inévitablement quelques semaines en arrière. Comme si mon corps et mon esprit se dédoublaient afin de revivre cette horrible soirée. À la différence près que je ne suis désormais plus actrice de la scène, mais une simple spectatrice.

On pourrait penser qu'il ne s'agit que d'un sentiment éphémère, d'un court instant durant lequel ma culpabilité et ma peur se réveillent. Que cette désagréable sensation disparaitra aussi vite qu'elle est arrivée, comme si rien ne s'était jamais passé. J'essaye moi-même de m'en persuader, mais, à mon grand désarroi, je sais pertinemment que ce ne sera jamais le cas. Mon péché est marqué au fer rouge et rien ni personne ne pourra l'effacer. Il fait autant partie de moi que ces cicatrices qui ornent ma peau abîmée par toute la violence que j'ai subie au cours de ces années à ses côtés.

C'est le souvenirs d'une vie médiocre qui ne tardera pas à se terminer de la même manière qu'elle a commencé. Car, les Sealers portent bien leur nom. Ils scellent votre destin et s'assurent que vous ne puissiez échapper à leur jugement dernier. Ça a été le cas avec maman et papa. Ce sera pareil avec moi. Mes jours sont comptés. Ma tête est mise à prix et un jour l'une de ces crapules gagnera à la loterie.

Un frisson frôle mon dos à cette pensée et c'est machinalement que j'enroule mes bras autour de moi. Comme si ce geste avait le pouvoir de me protéger d'une quelconque menace, d'écarter le mal qui tente lui-même de m'emprisonner entre ses bras.

Le grésillement du néon suspendu au plafond murmure quelques secondes à mes tympans, avant de me laisser dans la pénombre. Mes pas claquent le sol, le martèlent avec un peu plus de frénésie tandis que je me rue avec impatience jusqu'à l'interrupteur. Alors que je tends la main vers ce dernier, j'aperçois immédiatement le filet de lumière qui s'échappe de ma chambre. Mon corps se fige instantanément. Mon bras retombe quant à lui le long de mes hanches, tandis que ma respiration se bloque dans ma gorge. La Grande Faucheuse a-t-elle de l'avance ? L'ai-je invoqué par la pensée ?

J'hésite un léger instant à me rendre sans rechigner. Peut-être seront-ils plus indulgent avec moi si je ne me débat pas. Leur offrir ma vie me permettra peut-être de moins souffrir. 

Au même moment, une petite voix dans ma tête me répète de ne pas abandonner. C'est celle de Lizzie. Celle de cette petite fille qui n'a rien demandé et qui pourtant est née dans un monde bien trop sombre et cruel pour elle.

Des larmes roulent contre mes joues, alors que je fouille dans mon sac à la recherche de l'arme que m'a confié Hanae. Mes doigts glissent sur cette dernière et je l'attrape immédiatement avec fermeté, avec tant de force que mes phalanges en deviennent blanches.

Sans jamais quitter des yeux l'interstice éclairé, j'ôte précautionneusement la sécurité comme me l'a expressément notifiée Hanae, puis je m'avance silencieusement tel un animal sauvage dans la nuit. Après quelques grandes inspirations, je pose ma main libre sur la poignée et pousse discrètement la porte. À l'affût du moindre mouvement, j'inspecte la pièce, avant de m'engouffrer à l'intérieur lorsque rien de suspect ne semble s'y trouver.

C'est alors qu'une fine silhouette, vêtue de noir et à la tête capuchonnée, attire mon regard. La sueur au front, je pointe fébrilement l'arme sur elle et déplace avec précaution mon index pour le positionner sur la détente. Vais-je pour la seconde fois ôter la vie à quelqu'un ?

Ma nervosité, certainement perceptible à des kilomètres, me trahis plus vite que je ne l'aurai pensé. Car, dans un sursaut, l'inconnu tourne les talons pour me faire face, avant de reculer de deux grands pas.