Le point de non-retour.

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VIPER

C'est une nouvelle fois avec le souffle court et l'esprit embrumé par les souvenirs que je me réveille ce matin. L'étendue sableuse de Al-Nehaya s'est encore une fois offerte à moi. J'ai à nouveau pu entrevoir ce qu'était autrefois la richesse de ce lieu, sa beauté éphémère, désormais perdue dans les limbes de ma mémoire. Car, même si la magnificence de ce village situé au milieu du monde n'existe plus que dans mes souvenirs, c'est bel et bien sa destruction qui vient trop souvent hanter mes nuits. Celle-ci ne fait pas exception. Nulle autre d'ailleurs. Le charme de Al-Nehaya a rapidement été remplacé par sa chute et le rire des enfants s'est mué en un silence oppressant. Peu importe le rêve que je ferai, il se transformera inévitablement en cauchemar.

Cette dernière semaine à été bien plus éprouvante que les précédentes. Mes souvenirs n'ont cessé de faire irruption à l'improviste pour venir me torturer, que ce soit à la nuit tombée ou durant la journée. J'ai parfois la vague impression qu'ils traversent les remparts de mon esprit pour se fondre dans la réalité. Un son, une odeur, ou même un cri, peut me ramener à tout moment là-bas. Peut-être est-ce simplement l'épuisement qui me cause autant de tourments. Peut-être que ce n'est que mon imagination qui me joue des tours à force de ne pas dormir. Mes nuits sont de plus en plus courtes et de moins en moins salvatrices, contrairement aux journées, pendant lesquelles le temps paraît comme suspendu. Mon être entier semble affaibli par le manque de sommeil, par ces diverses pensées qui m'obsèdent jour et nuit. Même mes cicatrices, qu'elles soient physiques ou psychologiques, sont plus douloureuses chaque minute qui passe. Comme s'il s'agissait d'un rappel. D'une malédiction qui me voue à ne jamais oublier cette journée. Cette souffrance permanente me tiraille jusqu'aux entrailles et devient insupportable, presque insoutenable. Mes nerfs sont mis à rude épreuve et plus la date anniversaire de ce jour fatidique approche, plus ma culpabilité accrue.

S'ajoute à ça cette peur viscérale de me faire démasquer. Mon rôle de Sergent d'armes au sein des Hell's Sky m'oblige à garder pour moi ce genre d'états d'âme. À faire profil bas pour ne pas prendre le risque de perdre ma place. On ne va pas se mentir, ce que je vis en ce moment pourrait mettre en péril la stabilité du club et la vie de ses membres. Les Sealers nous guettent et la moindre faille pourrait leur permettre de reprendre la main sur tout le territoire et leur donner l'occasion de nous anéantir pour de bon. Ils n'attendent que le moment propice pour attaquer et nous détruire.

Heureusement pour moi et malheureusement pour lui, c'est Will qui détient la palme d'or des conneries. C'est l'exemple parfait à ne pas suivre et c'est celui que le club surveille de près. Le petit blondinet est en plein pétage de plomb, mais, contrairement à moi, il ne s'en cache pas. Il voue un désir de vengeance qu'il souhaite assouvir rapidement, ce qui lui vaut un paquet de gars sur le dos. Il s'est vu prendre son avenir en un claquement de doigts. L'espace d'un instant, il avait tout, le suivant, il ne lui restait plus rien. Sur ce point, on se ressemble bien plus qu'il ne le pense. Quoi qu'il en soit, il est en quelque sorte un bouclier pour mes secrets.

D'un geste vif, je repousse les draps qui recouvrent ma peau scintillante de sueur. Un léger reste de cette nuit en enfer. Mon corps bouillonne comme si j'étais à nouveau là-bas, dans la chaleur cadavérique de Al-Nehaya. Un fin rayon de soleil transperce la fenêtre et ravive à nouveau ma mémoire. À force de toujours ressasser ce jours noir, rouge de sang, j'en suis presque venu à en oublier les jours heureux. La joie dans leurs yeux et cette reconnaissance dans leur regard. À en oublier leurs rires et leur émerveillement. À en oublier leur lumière. À mon grand regret, ils sont désormais les anges de ce village anéantis par la main du diable.

Le froissement des draps autour de moi me sort rapidement de mes rêveries. Le parfum qui émane de la personne me pique aussitôt le nez et me rend plus aigri encore qu'à mon réveil. Nul besoin de poser les yeux sur elle pour deviner l'identité de la jeune femme qui trône en reine. Son parfum et ses ronronnements surjoués me suffisent amplement à regretter la soirée de la veille. La liste des conneries de Will s'allonge au fil des secondes et celle-ci vient s'ajouter à son palmarès. Quelle idée d'avoir écouté ses fabuleux conseils !

Hell's Sky : Partition amoureuse (#2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant