Lettre à ma fille

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"Comme c'est dur d'être mère, comme c'est douloureux d'être fille. Impossible d'être semblable, impossible d'être différente" E.Abécassis


Mon amour, ma fille.

Je sais que nous avons souvent été comme deux animaux totalement différents toi et moi. J'étais un petit poisson, évoluant dans son eau douce, et tu étais un oiseau majestueux virevoltant entre les montagnes. Nous pouvions nous aimer, mais nous étions tellement peu semblables que nous ne nous comprenions pas. L'oiseau ne comprend pas pourquoi le poisson ne sort jamais de l'eau pour venir voler avec lui; et le poisson, lui, n'admet pas que son ami l'oiseau n'arrive pas à rester sous l'eau aussi longtemps que lui. Comme dans l'histoire de la Petite Sirène d'Andersen, tu te souviens ? La petite sirène tombe amoureuse d'un prince qu'elle aperçoit un jour sur un bateau. Elle est subjuguée par sa beauté, si bien qu'elle passe son temps à penser à lui et à suivre son trajet pour continuer à l'admirer. Mais un soir, une tempête se déclare, et le bateau chavire. La petite sirène veut sauver le prince et l'emmène chez elle au fond de l'océan. Mais le voyant rester inanimé, le ramène sur le rivage. Elle ne savait pas qu'il était impossible pour les humains de vivre sous l'eau. Elle comprit alors que l'amour de sa vie ne vivrait jamais dans le même monde qu'elle.

C'était ton conte préféré. Tu me demandais de te relire cette histoire tous les soirs... C'était la période où nous étions le plus proche. Pas parce-que je le voulais bien, mais parce que tu me réclamais tout le temps. Tu voulais sentir ma présence à chaque instant. L'épreuve de l'école, et de cette séparation qu'elle occasionnait fut très dure pour toi. Tu avais la peur d'être abandonnée. Il te manquait déjà un papa, alors tu ne voulais pas que ta maman te laisse, elle aussi. Je t'aimais très fort, mais j'avais du mal à être mère, je ne l'avais jamais vraiment souhaité. Et puis il manquait trop de "choses" à ma vie pour être pleinement heureuse. J'avais perdu ce que j'avais de plus cher à mes yeux, et avais du mal à vivre comme si rien ne s'était passé.

Tu m'as reproché plein de choses à partir de ton adolescence. Que j'étais immature, que je ne comprenais rien à rien, que tu aurais préféré avoir une autre maman, comme celles de tes copines qui apparemment étaient parfaites. Tu m'as aussi fait comprendre que tu m'en voulais d'avoir quitté ton père et de t'avoir élevée avec un autre homme, et que si tu avais pu le connaitre tout aurait été différent, que tu serais même allée vivre avec lui. Tu l'imaginais parfait. Au fond tu n'avais pas tout à fait tort, même si tu n'en savais rien.

Tu m'en as fait voir de toutes les couleurs. Les soirs où tu avais décidé de ne pas rentrer, tes fugues, tes petits amis (je ne m'étendrai pas la dessus), tes larmes aussi. J'étais folle d'inquiétude. J'ai compris plus tard, et avec l'aide d'un spécialiste, que tout ce que tu faisais c'était uniquement pour me provoquer. Tu recherchais le conflit, puisque je ne te donnais pas de dialogue. Tu as grandi sans vraiment savoir qui j'étais, nous parlions peu, et surtout pas de ton père.

Moi je parlais tellement avec ma mère. Je connaissais tout d'elle. Je pouvais presque répondre à sa place lorsqu'on lui posait une question. Elle m'avait habituée à me raconter tout un tas de choses depuis ma plus tendre enfance. Je n'ai pas réussi à nouer une telle complicité avec toi. La fautive ce n'est pas toi, c'est moi. Pourtant, Dieu sait comme je t'aime. Je sais que c'est réciproque. Nous sommes deux grandes pudiques, voilà tout.
Maintenant, tu es une adulte et nos relations sont quelque peu apaisées.

Mais il est des silences que nous n'osons déranger. Tu connais ma réserve lorsqu'il faut parler de moi, de mes sentiments. Mais je pense qu'il est temps pour toi de savoir, d'apprendre à me connaitre, et pour moi de te dévoiler une partie de ma vie qui a été la plus belle, et la plus douce qu'on puisse espérer. Il est temps de rattraper le temps perdu, et que je te raconte un peu de mon passé, pour que tu saches qui j'étais, et qui je suis. Tu en apprendras un peu plus sur ta propre histoire, et peut-être que tu comprendras et pardonneras certaines de mes erreurs.

La défaite du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant