"Il me sourit avec une sorte de complicité - qui allait au delà de la complicité. L'un de ces sourires singuliers que l'on ne rencontre que cinq ou six fois dans une vie, et qui vous rassurent à jamais". F.S FitzgeraldJe commençais donc mon travail le lendemain. J'avais mis du temps à me préparer le matin, car je ne savais pas trop comment je devais m'habiller. Plutôt élégamment, ou plutôt décontracté comme il semblait être de coutume dans le village ? Finalement j'avais opté pour une robe assez simple et passe-partout. Entre les deux quoi, pourquoi choisir. Toutes les appréhensions que je pouvais avoir à propos de ce job s'étaient envolées au moment où j'avais rencontré Judith et sa famille.
Une fois arrivée sur mon lieu de travail, elle me mit à l'aise, et m'expliqua que mon travail consistait simplement à servir et conseiller les clients; à aller chercher les commandes et tout installer sur les étagères. Je me demandais comment j'allais bien pouvoir conseiller aux clients telle variété de courgettes plutôt qu'une autre, ou la meilleure façon de les faire cuire. A cette pensée, je me mis à rire toute seule, doucement.
En fait la coopérative faisait office d'épicerie, mais aussi de droguerie. Nous vendions aussi bien des fruits et des légumes, que des crayons, des cahiers, des enveloppes, et même des poêles. Certains jours avaient leur spécialité, par exemple le vendredi nous avions un réapprovisionnement en poisson, et nous n'en vendions pas les autres jours de la semaine. Le jeudi c'était le jour des sucreries, car une habitante d'un village voisin était d'origine marocaine, et nous fournissait en loukoums et autres gâteaux délicieux.
Lorsque je servis les premiers clients, je me rendis compte de combien ils étaient tous gentils et prévenants avec moi. Ils veillaient tous à ce que je sois à l'aise avec eux et dans le village. C'était un peu le point de rencontre des villageois. Ils venaient parfois passer des heures avec nous à discuter, et les enfants restaient aussi, car ils voulaient jouer aux marchands ou tout simplement avec leurs jouets en plein milieu du magasin. Personne était gêné, tout le monde vivait en harmonie. C'était comme s'il n'y avait pas de règles, et qu'ils répondaient tous à leurs propres codes qui apparemment étaient les mêmes pour tout le monde ici. J'avais l'impression qu'il n'y avait pas d'autres contraintes que celles que je m'imposais à moi-même.
Et ainsi passèrent les trois premières semaines. Sans encombres, bien au contraire, je me levais tous les matins avec joie pour aller travailler. Tous les jours, une vieille dame du village, Hetty, venait nous tenir compagnie. J'adorais discuter avec elle. Elle avait un certain âge, mais était tellement jeune dans sa tête, et avait un discours si censé, que je me surprenais à parler de tout avec elle, et à ce qu'elle ait toujours du répondant. Elle remplaçait la grand-mère que je n'avais pas avec moi à Val-en-Père.
Même s'il m'avait fallu du temps au début car je n'étais pas habituée, au fil des semaines j'étais heureuse d'être là, dans cet endroit si irréel. J'avais l'impression d'être au bout du monde alors que je n'étais qu'à trois heures de chez moi. Je ne voulais plus rentrer et retrouver la pollution et la violence de la ville. Moi, la grande sensible, qui s'émeut d'un rien, j'avais l'impression d'avoir enfin trouvé ma place. La violence et les conflits n'existaient pratiquement pas ici. Mes angoisses avaient cessé d'être. Enfin j'avais l'impression de respirer.
Tous les mardis matins, je devais aller chercher des caisses de jus de pommes dans le village voisin. J'empruntais la voiture de Judith, et bien souvent Nathorod m'accompagnait pour m'aider à mettre les caisses dans la voiture car elles étaient très lourdes. Sa mère l'avait un peu forcé la première fois, car il devenait un peu timide à mon contact, et finalement les semaines suivantes, c'était souvent lui qui se proposait pour venir m'aider. Les premiers temps, nous parlions peu durant le trajet. Je sentais quelques fois ses yeux qui se posaient sur moi pendant un instant, mais il tournait la tête avant que je ne puisse croiser son regard. Je trouvais ca mignon, et j'étais très flattée, et puis je savais que ca n'irait pas plus loin. Malgré son physique avantageux qui correspondait en tous points à mes critères, et sa gentillesse qui aurait pu me faire craquer, il n'avait pas mon âge, il avait même six ans de moins que moi, et cela formait une barrière infranchissable.
A chaque fois que nous arrivions chez monsieur Valero, qui nous fournissait en jus de fruits, Nathorod refusait catégoriquement que je porte quoi que ce soit. C'était l'homme le plus galant que je pu connaître par la suite dans ma vie. Enfin, il n'était pas encore un homme. Même si au fil des semaines, j'apprenais tellement à le connaître que j'avais l'impression qu'il était plus vieux que moi.
Peu à peu, il avait réussi à mettre sa réserve de coté, et nous passions notre temps à avoir des discussions profondes, comme je n'en avais jamais eu avec des personnes de mon âge. Il était de bon conseil, et ne me jugeait jamais. Quand je lui parlais, il m'écoutait vraiment, en me regardant droit dans les yeux, il ne faisait pas semblant. Je me rappelle avoir pensé que personne ne m'avait accordé autant de temps et d'attention auparavant. Il devenait mon ami, et j'étais heureuse à chaque fois que je savais que j'allais le retrouver. J'avais beaucoup de tendresse pour lui, il aurait pu être mon petit frère, même si ces regards me faisaient clairement comprendre qu'il aurait aimé être plus que ca pour moi.
Nous passions tous nos moments libres ensemble, et je dois dire que c'étaient les meilleurs moments que j'avais pu passer à Val-en-Père. Je n'envisageais pas de passer une journée sans le voir, ne serait-ce que cinq minutes. De temps en temps, nous marchions jusqu'au lieu-dit le plus proche, et nous rentrions avant que la nuit tombe. Ou bien nous restions des heures à discuter près de la croix de l'ancienne église, qui était dissimulée dans un pré, un peu éloigné du village et de ses habitants. Parfois, il me prenait dans ses bras d'une façon protectrice, me faisait des câlins souvent. Je m'allongeais par terre le tête sur son ventre, et nous refaisions le monde. Pour moi c'était juste une relation très amicale. Et je me rattachais à sa tendresse, sa présence. C'était tout ce dont j'avais besoin, après avoir laissé ma famille et mes amis.
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La défaite du passé
Romance"Parfois tu te retrouves au beau milieu de nulle part, et d'autres fois c'est au milieu de nulle part que tu te retrouves." Pourquoi recommençons nous les mêmes erreurs plusieurs fois ? Certaines personnes ne comprennent pas les leçons du passé, et...