La vie, simplement.

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"Living on Earth is expensive, but it does include a free trip around the sun"


Ça faisait dix ans que je n'avais plus mis les pieds à Val-en-Père. Je n'y connaissais plus personne. Du moins le pensais-je.

En arrivant, déjà je regrettais d'être là. Si mes souvenirs liés à ce village me semblaient si beaux et gais, c'était simplement grâce à leur goût d'enfance et d'insouciance. Il est dit que d'une manière générale, nous retenons toujours les bons cotés de nos vacances, de notre enfance, etc... Notre cerveau fait l'impasse en quelque sorte, sur ce qui a pu mal se passer; même si en cherchant bien on trouve.
Et puis c'était la première fois de ma vie que j'y montais toute seule. Quand on est enfant ce n'est pas un problème, on trouve toujours un copain, et il y a tout le temps quelque chose à faire, on sait s'amuser d'un rien. Mais adulte, c'est tout de même moins aisé. Et puis j'avais peur de m'ennuyer. A présent je me retrouvais sans mes cousins, mon frère, et comme je l'ai dit, même les quelques jeunes que je connaissais au village n'habitaient plus là. Ils étaient tous partis faire leurs études dans de grandes villes, et ne prenaient même plus le temps de venir voir leurs parents durant les vacances. Ca allait être très longtemps de vivre ici sans amis. Même si j'étais, et suis toujours, plutôt du genre solitaire, l'idée d'être éloignée de tout et sans personne de mon âge à qui parler me semblait à présent angoissante.

Je trouvais qu'il y avait plus de villageois que dans mon souvenir. Beaucoup de gens des grandes villes étaient venus y vivre dans le but de s'offrir une vie meilleure, plus en phase avec la nature et les vraies choses de la vie pour leurs enfants et pour eux-mêmes. Ils étaient tous un peu hippies, portaient des vêtements larges passés de mode, même si je ne suis pas sûre que ce fut à la mode un jour. Qu'importe, ils semblaient tellement plus heureux que toutes les personnes que j'avais pu côtoyer auparavant.

Certains étaient bergers et fabriquaient leur propre fromage de chèvre et de brebis, d'autres enseignaient le yoga ou autre technique spirituelle afin "d'apaiser et d'élever l'esprit". Certains donnaient l'impression de jouer sur leur guitare toute la journée, alors qu'en fait ils avaient un travail à coté comme guide de haute montagne, hôte de bed and breakfast, ou même employé de mairie dans la ville la plus proche. Tous étaient végétariens et mangeaient des produits issus de l'agriculture biologique, ou de leur propre jardin.

Ils avaient réussi à rendre Val-en-Père plus touristique qu'avant en le faisant connaître en tant que village éco-responsable. Les petits vieux devaient se demander ce qui s'était passé dans leur bon vieux village, avec toutes ces personnes tout droit sorties de Woodstock. J'avais pour ma part l'impression d'avoir fait un bond en arrière dans le temps, et que la vie telle que je la connaissais n'avait jamais existé, ou du moins n'était qu'un lointain souvenir. Où était la modernité, la mode, la superficialité, mais aussi la méchanceté, la violence, et les soucis ?

J'arrivais là, et me sentais perdue dans cet endroit que je connaissais par cœur autrefois. J'allais devoir me le réapprivoiser et apprendre à connaître ces nouveaux habitants. Je dis "nouveaux", mais la "nouvelle" c'était moi. Même si je connaissais le village depuis plus longtemps qu'eux, ils y vivaient à longueur d'année, c'était chez eux. C'était à moi de m'adapter à eux, pas l'inverse.


Léonie m'avait installée dans une chambre qu'elle venait de rénover. C'était en fait l'ancien grenier qu'elle avait fait transformer en suite parentale. J'y avais ma propre salle de bains, mon dressing et même un coin lecture avec des fauteuils douillets, une table basse et une lampe de sel qui diffusait une lumière chaude et garantissait une ambiance des plus agréables. Je m'imaginais déjà, avec un bon livre à la main, en train de savourer une tasse fumante de thé parfumé au citron, avant d'aller me coucher. De la fenêtre j'avais vue sur tout le vallon, et les collines environnantes. Des champs de lavandes s'étendaient jusqu'à l'horizon. J'avais devant les yeux une carte postale somptueuse. J'avais tout le confort et l'intimité nécessaires. La chambre de Léonie était au rez-de-chaussée et à l'autre bout de la maison, trop éloignée de la mienne pour que l'on puisse se déranger l'une l'autre.

La première semaine, elle m'avait laissée libre de faire ce que j'avais envie de faire. Nous nous retrouvions le soir pour les repas et pour faire une partie de cartes après le dîner, mais le reste du temps elle allait rendre visite à des amis, elle jardinait ou allait se balader. Elle ne me rendait pas de compte. Elle vivait seule depuis des années, alors elle n'avait pas forcément envie que je sois sur son dos à longueur de journée. Ca m'arrangeait d'ailleurs. J'en avais profité pour me balader dans les alentours, et faire quelques promenades que je savais pas trop difficiles. J'essayais de reprendre mes repères. Je n'avais pas pris le temps de discuter avec les habitants, mais je les observais. J'étais bien trop timide pour les aborder sans raison. Et puis ils étaient tellement différents de moi. J'avais l'impression d'avoir utilisé une machine à remonter dans le temps, et que j'étais arrivée dans une tout autre époque, où on laissait les bambins se balader nus, avec des chèvres, sur les routes et sans surveillance, sans se faire aucun souci pour eux, pendant que les parents fabriquaient des colliers en perle d'Ambre ou bien des sculptures à l'occasion d'atelier poterie. Ils pouvaient laisser leurs affaires en plein milieu du village, ils savaient que personne ne les volerait. Je me souviens d'une fois où avec mes cousins on avait trouvé dans le sable du jardin d'enfants des skateboards enterrés. On les avait pris avec nous des jours durant, et on les avait redéposés avant de partir. Leurs propriétaires les avaient repris comme si de rien n'était.

On me regardait avec amusement et timidité parfois. Les jeunes garçons me regardaient en rougissant, et j'avais l'impression d'être la plus belle fille du village à leurs yeux; bien qu'il y en ait eu de très jolies. J'étais tout simplement une étrangère et je les intriguais. J'appréciais d'être regardée ainsi, moi qui semblait si banale dans ma ville d'origine. Ils étaient même trop gênés pour me dire bonjour, et comme je n'étais pas plus extravertie qu'eux, nous nous croisions sans nous dire un mot. Mon expérience avec Pierre me faisait dire que c'était dans la nature des habitants de Val-en-Père. Et de tous les petits villages même.

Quand ma semaine d'observation fût finie, Léonie m'annonça qu'elle m'avait trouvé du travail chez une de ses amies. Ca m'avait énervée sur le coup qu'elle puisse se mêler de ma vie. Mais je ne l'avais pas montré. Comble de tout, elle l'avait invitée à dîner le soir même, avec son mari et ses enfants...





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Bon alors ce chapitre peut sembler un peu long, mais c'est pour mettre en place l'histoire petit à petit. On commence à rentrer dans le vif du sujet dans le prochain chapitre, promis ;-) N'hésitez pas à me donner vos avis, conseils etc, je suis preneuse !

La défaite du passéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant