Le fil rouge

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Apparement, une personne en deuil passait par cinq étape.
   Le déni.
   La colère.
   La recherche d'une autre solution.
   La dépression.
   L'acceptation.
   C'était progressif, les étapes se suivaient dans le temps en se succédant les unes aux autres. Mais alors pourquoi Chifuyu les vivait-il toutes en même temps ?
Il refusait la mort de tous ses amis, il la repoussait loin de lui, incapable de l'accepter, il ne voulait pas y croire. Ils ne pouvaient pas tous être morts, ce n'était pas possible, il devait y avoir une erreur.
Pourtant ils étaient bien tous morts. Hakkai, Mitsuya, Emma, Koko, Inui, Ran, Hinata, Mikey, Rindo, Sanzu, Kakucho, Izana, Draken, Takemichi, Kazutora. Ils étaient tous morts, et ce n'était pas un rêve. Chifuyu le savait. Ils étaient tous morts, il l'avait compris, et il l'avait accepté. Ils étaient partit, ils ne reviendraient pas.
Chifuyu ne reverrait plus Hakkai regarder avec admiration Mitsuya. Il ne reverrait plus l'air serein qu'avait toujours Mitsuya. Il ne reverrait plus les cheveux dorés d'Emma voler autour de sa tête. Il ne reverrait plus l'anneau d'or briller sur l'annulaire de Koko. Il ne reverrait plus le regard azur d'Inui. Il n'entendrait plus la douce voix de Ran, ni le léger rire d'Hinata lorsque Takemichi lui disait quelque chose d'amusant. Il n'entendrait plus Mikey appeler Draken « Kennychou ». Il n'entendrait plus la voix froide de Rindo. Il ne verrait plus Sanzu regarder Rindo comme s'il s'agissait de la chose la plus précieuse qui puisse exister. Il ne reverrait plus Kakucho serrer avec soulagement Izana contre lui. Il ne croiserait plus le regard vide d'Izana. Il ne reverrait plus Draken nouer ses cheveux en une tresse avec lassitude. Il ne rirait plus avec Takemichi pour des choses stupides. Il ne sentirait plus cette douce odeur qui émanait de Kazutora.
Tout ça c'était finit.
Les seuls choses dont Chifuyu se souviendrait seront les corps de Mitsuya et Hakkai qui se déchiraient sur le champ de mine, le cœur d'Emma qui s'arrêtait sous ses mains, les corps inertes de Koko et Inui pendant au-dessus des joueurs, Ran se jetant dans le vide sous les yeux de son frère, la tête d'Hinata se rejeter en arrière dans une giclée de sang, le regard soulagé de Mikey alors qu'il disparaissait dans l'obscurité, la gorge ensanglantée de Rindo alors que Sanzu l'étreignait contre lui, Sanzu bondir sur une dalle de verre et la faire exploser, Kakucho et Izana se tenir la main dans une cascade de morceaux de verre, Draken briser une plaque transparente, Takemichi tomber dans le noir sans le quitter des yeux, les coups de feu sourds et le corps de Kazutora traîné au sol avant d'être sûrement jeté à la mer.
Chifuyu se souviendrait de ça. De ça, du sang, des larmes, de la peur et de la douleur. De ça et de rien d'autre, parce que plus rien ne comptait. Il se souviendrait de ça parce que toutes ces images le hantaient, elles étaient gravées à l'encre indélébile derrière ses paupières et parce qu'il n'avait rien d'autre pour se souvenir de ses amis. Il n'avait rien.
Pas une photo, pas un bracelet, pas une veste, pas un élastique, rien. Il n'avait pas de souvenir d'eux, et il avait beau vouloir se souvenir d'eux sans penser à leur mort, la seule chose qu'il arrivait à faire, c'était revoir les scènes sanglantes qui s'étaient déroulées devant lui.
Il était terriblement en colère contre lui pour n'avoir pu protéger personne, contre ce jeu d'une violence inconcevable, contre ses amis qui étaient venus vers lui, l'avait fait les apprécier, avant de mourir devant lui. Il était en colère contre le monde, contre les dieux, contre la vie. Chifuyu était plein de rage, il aimerait pouvoir prendre son couteau et le planter dans le cœur de tous les masqués qu'il croisait, il aimerait détruire ce dortoir, mettre le feu aux salles de jeu, arracher les draps de son matelas, briser les portes des toilettes, faire voler en éclat les miroirs, réduire en miettes cette putain de tirelire qui pendait au-dessus d'eux, et déchirer un à un chaque billet de yen.
Qu'est-ce qu'elle faisait là ? Pourquoi est-ce que les masqués s'obstinaient à la laisser là hein ? Elle les narguait de haut, avec sa lumière d'or et ses billets verts. Elle était là, et se remplissait de jour en jour, mais elle ne servait plus à rien. Le jeune homme n'en avait plus rien à faire de cette tirelire. Il n'en avait plus rien à faire de tout cet argent. Il voulait juste détruire cette tirelire.
Alors c'était ça le deuil ? C'était être en colère, triste, accepter et tout rejeter, c'était chercher une autre issue ? Tout ça en même temps ? Ça faisait aussi mal ?
Non. Non Chifuyu n'avait pas mal. Aucun mot ne pourrait décrire ce que le deuil lui faisait ressentir.
Il était anéanti, tout explosait en lui. C'était comme si chaque partie de son âme étaient brisés et qu'elles volaient en lui et le coupait de l'intérieur. C'était comme si chacune de ses pensées était un coup brutal porté à son cœur, comme s'il ne respirait plus que pour se brûler les poumons, comme si son cœur ne battait plus que pour rompre ses côtes, comme s'il ne vivait plus que pour mourir.
   Chifuyu avait l'impression qu'il se trouve seul au milieu d'un vide, que des ombres bougeaient tout autour de lui, que des mains le touchaient, le griffaient, l'écorchaient, qu'elles se posaient sur lui et se refermaient sur ses membres, qu'elles le compressaient, qu'elles l'étouffaient. Il sentait une main refermée sur sa gorge qui l'empêchait de respirer, il sentait des mains qui broyaient ses jambes et ses bras comme si elles essayaient de le casser, de le briser physiquement. Il sentait une main plaquait sur sa bouche pour l'empêcher de hurler de douleur.
   Chifuyu avait mal. Il avait tellement mal qu'il aimerait pouvoir prendre son couteau et mettre fin à cette douleur en faisant comme Rindo, il aimerait que tout s'arrête, il aimerait juste pouvoir lâcher prise...
   — Chifuyu, murmura Baji près de lui.
   Le jeune homme ouvrit les yeux et son regard tomba aussitôt sur les yeux noisettes de Baji. Il était accroupi devant son lit, une main sur sa joue, un air inquiet sur le visage.
   — Qu'est-ce qu'il se passe... t'as pas dit un mots depuis ce matin, dit Baji en caressant sa joue.
   Le jeune homme ne répondit pas. Il n'avait aucune idée de depuis combien de temps il était réveillé, ni de depuis combien de temps il était immobile dans son lit. Il avait entendu Baji se lever, ainsi que Senju depuis l'autre côté du dortoir, mais lui était resté allongé dans son lit. Incapable de se lever.
   — Hé Chifuyu, il s'est passé quelque chose, s'inquiéta Baji.
   S'il s'était passé quelque chose... il s'était passé bien trop de chose. Bien trop. Chifuyu avait d'abord était bousculé par le départ de son meilleur ami. Ça l'avait blessé. Il avait tout perdu du jour au lendemain, et il avait eu mal. Ensuite il n'avait pas réussi à se relever et il avait eu envie de tout arrêter. Ensuite il avait reçu un coup avec son arrivée dans Squid Game. Il avait essayé de survivre. Après, Chifuyu s'était coupé avec les premières morts de ses alliés. Et il s'était excusé. On l'avait frappait et il avait eu mal. Et tout c'était enchaîné. Chifuyu s'était pris un coup de couteau en plein cœur, et il avait eu vraiment mal. Takemichi était mort. Il s'était écroulé. Kazutora était mort. Et il avait fait tout exploser en lui. Chifuyu était détruit.
   Chifuyu avait reçu trop de coups par la vie, et aujourd'hui il ne pouvait plus se relever. Il était trop abîmé pour se réparer à présent.
   S'il s'était passé quelque chose ? Oui. Chifuyu s'était fait frapper par la violence de la vie une fois de plus. Mais cette fois il ne se relevait pas.
   — Chifuyu dis-moi quelque chose, supplia Baji, de plus en plus inquiet.
   Dire quoi... qu'il avait tout perdu ? Qu'il voulait juste mourir ? Qu'il voulait juste qu'on le détruise jusqu'au bout et qu'on l'anéantisse pour de bon cette fois ? Est-ce qu'il pouvait vraiment lui dire ça ? En avait-il seulement le droit ?
   — Chifuyu, dis-moi tu m'inquiètes vraiment.
   Baji était horriblement pâle. Lui aussi ne devait pas aller bien du tout, et pourtant il arrivait quand même à s'inquiéter pour Chifuyu. Il lui restait encore une partie de son cœur qui était intacte, il n'avait pas le droit de la détruire en lui disant qu'il voulait mourir. Il ne pouvait pas lui dire ça.
   — Je suis juste fatigué, murmura-t-il alors.
   Sa voix était bien plus basse que ce à quoi il s'attendait. Elle était étouffée, cassée, et Baji le remarqua immédiatement. Il prit la main de Chifuyu et la leva devant son visage.
   Chifuyu essaya de se défaire de sa prise mais son allié serra son poignet et le regarda longuement. Chifuyu avait fermé ses poings.
   — Ouvre tes mains, murmura Baji.
   Chifuyu secoua la tête. Son allié ouvrit alors de force ses mains, et vit alors que de longues coupures et morsures rougeâtres couvraient ses paumes.
   — C'est rien, dit Chifuyu alors que Baji le regardait avec affolement.
   Baji ne l'écouta pas et remonta lentement la manche de sa veste. Son regard tomba sur les grandes traces rouges qu'avaient dessinés le jeune homme sur sa peau après avoir perdu Kazutora. Il s'était griffé jusqu'au sang, il s'était tailladé la peau avec son couteau en hurlant de rage, et du sang sec couvrait ses plaies profondes. Il n'avait pas pris la peine d'essuyer le sang, ses bras étaient rouges, la vision était horrible. Chifuyu s'était coupé bien trop profondément, mais il ne sentait plus rien. Il était incapable de ressentir une quelconque douleur parce que l'une des personnes qu'il aimait le plus, son meilleur ami, celui qui le portait à bout de bras et le maintenait debout, son allié et son confident était mort. Kazutora était mort, et rien ne pouvait lui faire plus de mal que son départ.
   — Chifuyu qu'est-ce que c'est que ça, demanda Baji d'une voix sourde.
   Le jeune homme ouvrit la bouche pour répondre, mais aucun son ne se fit entendre n
   Son souffle tremblait, il allait craquer et il le sentait. Baji tourna la tête vers lui et vit alors que ses yeux étaient embués de larmes.
   — Chifuyu...
   Il se pencha sur lui pour le serrer dans ses bras du mieux qu'il put, et Chifuyu fut incapable de ne pas fondre en larme. Il ne pouvait pas faire semblant devant Baji, il n'en avait plus la force.
   — C'est bientôt fini, je te le promets, jura Baji en continuant de le serrer contre lui. Tout ira bien, tout ira bien maintenant.
   Chifuyu se retint de dire à Baji qu'il voulait mourir, et resta immobile dans son lit, à pleurer avec impuissance.
   — Ne te fais plus jamais de mal, murmura Baji en serrant sa main dans la sienne.
   Le jeune homme ne répondit rien. Il n'en avait pas la force et ne pouvait pas mentir à Baji. Le silence était préférable, de toute façon il pleurait tellement qu'il ne pouvait pas prononcer le moindre mot.
   Baji n'essaya pas plus de lui parler, rien de ce qu'il dirait ne pourrait l'aider, c'était trop tard pour le sauver... Alors, les deux jeunes hommes restèrent l'un contre l'autre, étroitement blottit l'un contre l'autre, Chifuyu étant incapable d'arrêter ses larmes, et Baji essayant tant bien que mal de l'aider.
   Ils restèrent longuement comme ça, sous le regard indifférent de Senju, qui était de l'autre côté du dortoir, jusqu'à ce que les portes du dortoir s'ouvrent. Ça y est. C'était l'heure du dernier jeu.

Squid Game - Le fil rouge Où les histoires vivent. Découvrez maintenant