9 Décembre

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Je ne pensais pas que les visites de Noël seraient aussi assidues. J'en viens presque à le trouver encore plus insupportable, alors que je croyais cela impossible. Malheureusement, on dirait que je commence à m'habituer à sa présence. C'est triste à avouer, mais actuellement, il est mon contact le plus proche. J'en arrive à craindre d'absorber sa négativité, parce qu'avouons-le, il ne semble pas sensible à mes bonnes ondes.

Je devrais sans doute lui parler, mais étrangement je n'y arrive pas. Il est arrivé ce matin, nous nous sommes salués, puis silence radio. Généralement, cela ne me dérange pas de rester avec mes propres pensées, de refonder un monde utopique, mais aujourd'hui mon esprit est dirigé vers cet homme. Je ne cesse de repenser à la veille. « On oublie que les mots sont des souvenirs gravés ». Quels sont les siens ? L'ont-ils détruit également ?

La visite de Manuel semble avoir quelque peu ébréché sa coquille. Peut-être est-ce l'occasion d'en tirer des informations.

_ Je peux vous poser une question ?

_ Je serais obligé d'y répondre ?

_ Non.

Il m'invite à poursuivre, mais les mots peinent à venir de suite. Je ne voudrais ni le froisser, ni le blesser ; et encore moins effleurer des blessures encore ouvertes.

_ Vous avez été harcelé ? Vous aviez l'air vraiment concerné hier.

Cette fois-ci c'est à Noël d'hésiter. Le silence qui s'installe est d'autant plus pesant qu'avant. Même si le but principal de ses visites est justement de découvrir sa fragilité, j'en viens à regretter ma question. Peut-être est-elle trop brutale, trop directe.

_ Désolée, je n'aurais pas dû...

_ Non, m'interrompt-il. Non, je n'ai jamais été harcelé. Ça ne m'empêche pas de me sentir concerné pour autant. On a tous connu un Manuel et on a tous entendu « C'est rien, ça va passer ». (Il marque une pause). J'étais un vrai con à l'époque. Au début, je ne faisais qu'observer les autres. Si le collège est une jungle, alors le lycée est une savane ; il y a autant de brutes, mais elles sont plus discrètes et plus fourbes. On n'apprend jamais mieux des autres. Ce qu'on nous enseigne dans la cour de l'école c'est qu'il y a deux équipes : les prédateurs et les proies. C'est une sorte d'immense partie de balles aux prisonniers, mais avec aucune porte de secours. Si le Roi de la savane vous choisit, c'est la perpète assurée. Alors votre instinct de survie vous entraîne à ne surtout jamais devenir une proie.

_ Vous vous en voulez encore ?

_ Oui. Je m'en veux d'autant plus que je ne me suis jamais excusé auprès d'elle.

Je ne peux que le comprendre. Même en m'étant excusée, même en n'ayant été qu'une observatrice, je ne cesse de penser à Théo. Je regrette chacun de mes sourires aux « blagues » à son égard. S'ils s'avéraient faux, rien ne le lui prouvait. Tout ce qu'il percevait derrière son voile, c'était une adolescente qui riait de lui, une adolescente qui approuvait les propos à son encontre.

_ Vous n'avez jamais cherché à la retrouver ?

_ Non. Elle est introuvable sur les réseaux et... j'aurais trop honte de lui faire face. Si même après toutes ces années, je continue d'éprouver autant de déception envers moi, alors ma simple présence suffirait à l'écœurer.

_ J'ai aussi été dans ce cas, dis-je en espérant le rassurer. Ce n'était pas tant pour l'instinct de survie, mais plus parce que ça n'avait l'air d'alarmer personne. Les adultes étaient au courant, mais aucun d'entre eux n'agissaient vraiment. Ils attendaient que ça passe, en espérant sans doute que ça n'impacte pas l'image de leur bel établissement. Je sais que ça n'excuse rien.

Je ne comprends toujours pas quelle satisfaction on peut en tirer. En quoi le malheur peut nous rendre heureux ? Est-ce une façon d'oublier que nous ne le sommes pas complètement ? Est-ce une façon de ne pas être seul dans notre chute ? Notre nature primitive prend-elle le dessus sur notre moralité ? A dire vrai, la seule chose qui nous réunit tous, le seul point commun qui nous lie tous, ce n'est rien de plus que notre chasseur intérieur.

Certains sont juste plus forts que d'autres pour le neutraliser.

_ Vous vous êtes pardonnée ? me demande Noël.

_ Je ne sais pas. Il a accepté mes excuses, mais j'ignore si c'est vrai. Ce n'était peut-être qu'un mensonge de plus, comme chaque fois qu'il riait avec nous ou souriait sur une photo. Comme toutes les fois où il répondait qu'il allait bien ; que tout allait bien.

» Ce n'est pas quelque chose qui me ronge, je reprends après un silence, mais ça ne m'empêche pas de ressentir de nombreux remords et de regrets. Alors, je ne sais pas si j'ai le droit au pardon. Si j'avais été de l'autre côté, je ne sais pas si j'aurais eu la force de pardonner. Je ne sais pas si j'aurais eu assez de force pour supporter ça. En réalité, je ne sais rien.

» Tout ce que j'ai dit à Manuel, c'était pour le rassurer. Mais vous avez raison, ce ne sont que des mensonges. On ne fait que cacher la vérité aux enfants, alors que nous-même détestions ça à leur âge. On oublie que les mensonges ont de véritables conséquences. Je n'ai jamais su comment agir dans ce genre de cas.

_ Personne ne le sait. L'attaque est un instinct chez l'Homme, mais la défense ça s'apprend, et personne ne nous l'enseigne. On pense que ça fortifie les gens, que ça les aidera pour plus tard, mais pour beaucoup il n'y a pas de « plus tard ». L'important n'est pas de parler, mais d'être entendu. Malheureusement, le monde est bruyamment sourd.

Jamais Noël ne m'a autant parlé, jamais il ne s'est ouvert d'une telle façon. Ses phrases résonnent en moi et me font comprendre bien des choses à son sujet. Lui qui cherche toujours réponse à tout a appris la plus grande des leçons : comprendre qu'on ne peut pas comprendre. Cela signifie qu'il ressent, qu'il vit et qu'il accepte.

Il accepte mon aide. 

~ ☆❁☆ ~

Bonjour / Bonsoir !

Comment allez-vous ?

Je suis joie de pouvoir partager ce chapitre qui nous révèle quelques éléments du passé de Noël. Le harcèlement est un sujet qui me tient à cœur et ça faisait un petit moment que j'avais envie d'exprimer mon ressenti sur la question.

N'oubliez pas que si vous êtes sujets au harcèlement (victimes ou témoins), vous pouvez en parler autour de vous et des numéros restent à votre disposition.

30 20 en cas de harcèlement

> 30 18 en case de cyber harcèlement

Quoiqu'il en soit, j'espère que ce nouveau chapitre vous a plu ! N'hésitez pas à partager vos impressions, ça fait toujours plaisir 😊.

Je vous souhaite une très bonne journée / soirée, et à bientôt ! ^^

~ ☆❁☆ ~

L'Etincelle { Noël }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant