10 Décembre

27 2 23
                                    

Tandis que Noël joue avec une boule à neige, quelqu'un entre. Il s'agit d'un jeune homme ; sûrement encore un lycéen. Son aura est tel qu'il illumine la pièce entière rien qu'en un sourire.

_ Bonjour !

_ Bonjour.

Même si nos voix s'entremêlent, Noël n'éprouve pas le même enthousiasme face à l'arrivée d'un nouveau client. Si le contact des gens ne l'enchante pas, il pourrait au moins faire semblant d'avoir la fibre commerciale. Je suis à deux doigts de poster une pancarte « Attention homme neurasthénique ! ». Pour des motifs évidents, je ne le ferai pas.

_ Bonjour, je suis Micha. Le grand frère de Manuel.

Effectivement, ses boucles d'or et ses grands yeux bleus ne sont pas sans rappeler ceux du petit garçon.

A l'évocation de l'enfant, Noël oublie son occupation pour venir me rejoindre. Un frisson parcourt un instant mon corps en le sentant respirer tout près de moi. Je ne me souviens pas que nous ayons déjà été si proches.

_ Il est venu vous rendre visite mercredi, précise-t-il.

_ Il va bien ? demande l'homme devenu à présent mon frère siamois.

_ Oui, très bien.

Je pousse discrètement Noël sur le côté, mais sans succès. Cet homme est véritablement fait de pierre. Je lui indique mon manque d'espace personnel par de petits coups de coudes dans l'abdomen. Ne bougeant toujours pas, j'entreprends de frapper plus fort. Au contraire, il repousse même mes bras.

Devant nos chamaillades, Micha nous regarde comme ma nourrice quand je refusais manger et envoyais valdinguer mon repas à l'autre bout de la pièce. Dépité.

_ Je peux repasser, si vous préférez...

_ Non, c'est bon. J'aimerais juste plus d'espace.

_ C'est ça qui vous gêne ? répond-il en s'écartant. Exprimez-vous avec des mots aussi.

« Exprimez-vous », quelle ironie !

Je lui décoche un regard noir, avant de finalement offrir mon plus sourire au jeune homme. Ne surtout pas laisser la négativité de Noël impacter ma relation avec mes clients.

_ Désolée. Je me souviens bien entendu de Manuel, est-ce qu'il va mieux ?

_ Euh... « mieux » ? 

Oh, la boulette.

Evidemment, bien que je le lui ai conseillé d'en parler à sa famille, Noël et moi semblons toujours être les seuls au courant de sa situation. La position dans laquelle je me retrouve est tout sauf confortable. D'un côté, je sais que je me dois d'être honnête. Il s'agit de son frère, de ses parents, soit les plus à mêmes de comprendre et gérer la situation. Ils sont en droit de savoir quelles flèches transpercent le cœur de ce petit ange.

D'un autre côté, je me dois d'être loyale envers l'enfant, respectueuse envers son mutisme. Celui-ci cache peut-être une raison particulière : un manque d'attention, de sérieux ou simplement la pression de ne jamais se montrer faible.

« On arrive encore à culpabiliser les victimes ». Les paroles de Noël sont criants de vérité et frappent mon esprit depuis l'avant-veille. Je ne cesse de repasser en boucle notre discussion. J'ai tenté de trouver une solution au problème. En vain. La meilleure décision est définitivement la plus irréalisable : déraciner ces idées, cette moralité écorcée. Malheureusement les forêts sont denses et il existe autant de végétation que de perversité.

_ Il est harcelé.

Apparemment, Noël n'est pas du genre à poser les pours et les contres. Je ne devrais pas être étonnée de la sincérité d'un homme qui cherche une réponse à chaque problème. Je suis plutôt surprise par la brutalité de ses mots. Aucun filtre, aucune forme, aucun euphémisme. Juste la vérité dans sa dure réalité.

_ Harcelé ? Vous devez faire erreur, Manuel va très bien.

_ Il va bien pour vous, je reprends. Derrière son sourire se cache une vraie douleur. Certains de ses camarades s'amusent à se moquer et... à le frapper.

_ Quoi ? bredouille-t-il. Il se fait frapper ?

Je hoche la tête.

Je tente de décrypter son émotion, mais plusieurs se dessine sur son visage : colère, chagrin, dégoût, angoisse. Incompréhension.

Alors qu'il tente de garder l'équilibre, en s'appuyant sur mon comptoir, je l'invite à venir s'asseoir avec moi. Noël lui offre un verre d'eau qu'il se contente de tenir entre ses mains abîmées par le froid. Je regarde Grincheux en espérant qu'il sache comment gérer la situation. Il ne semble pas plus éclairé que moi.

Nos cœurs en suspens, Micha finit par briser le silence.

_ Pourquoi il ne nous en a pas parlé ?

_ La honte, la pression de devoir être fort, les menaces, le déni, énumère Noël. Les raisons peuvent être multiples.

_ Je ne comprends pas... déplore-t-il le regard rivé sur ses baskets. On est très complices, il me raconte tout d'habitude. Je suis son grand frère, je suis censé le protéger. Qu'est-ce que je suis censé faire ?

_ Amenez les choses doucement avec lui.

Ironique venant d'un homme qui vous annonce que votre petit frère se fait harceler de la même façon qu'il vous explique que vous êtes un escroc. Eh oui, même s'il s'est adoucit, la pilule n'est toujours pas passée de ce côté-là.

_ Posez-lui les bonnes questions sans être trop incisif. Soyez là pour lui plus que jamais.

Bon OK, sa bienveillance le rend peut-être moins détestable qu'il y a encore quelques jours.

_ Ce que je ne comprends pas c'est pourquoi ? Pourquoi on le harcèle ?

_ Ces gosses sont des enflures.

_ Oui, mais pourquoi ?

_ Parce que ce sont des bâtards, j'interviens sous le regard surpris de Noël. Il n'y a rien chez Manuel – ni chez aucun enfant – qui justifie qu'il se fasse harceler. Toutes les raisons que l'on pourrait vous citer ne sont que des prétextes.

_ Et si c'est Mère Teresa qui le dit, c'est sûrement vrai.

Bien qu'elle soit teintée d'humour, la remarque de Noël provoque une certaine satisfaction en moi. Pour une fois qu'il me donne raison. Je devrais sans doute songer à marquer cette date d'une pierre blanche.

Après le départ de Micha, Noël a la politesse de m'aider à ranger. Il est si gentil que cela en devient presque suspect. Est-il malade ? Ou bien essaye-t-il simplement d'amadouer le karma ?

_ Quoi ? s'interroge-t-il devant mon regard rivé sur lui.

_ Moi qui pensais que vous n'aviez aucun cœur, il semblerait que vous aimiez les enfants, Monsieur Noël.

_ Pas tous malheureusement.

En voyant son regard perdu, je ne peux m'empêcher de me demander : « Aime-t-il celui qu'il était ? ».

~ ☆❁☆ ~

Bonjour / Bonsoir !
Comment allez-vous ?

Quelles sont vos impressions sur ce chapitre ?

Au fil des chapitres, Noël semble s'ouvrir de plus en plus, et c'est loin d'être le tout. Cela pourrait-il être finalement utile pour Fran ? 

Parviendra-t-elle à atteindre son objectif ?

Sur ce, je vous souhaite une très bonne fin de journée 😊

~ ☆❁☆ ~

L'Etincelle { Noël }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant