23 Décembre

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« Je porte le cœur de quelqu'un d'autre ».

Je comprends tous les mots dans leur individualité, mais une fois assemblés, mon cerveau refuse d'y voir clair. Cette révélation est plus intense que toutes celles que j'ai pu m'imaginer. Je n'aurais jamais pu croire que son cœur souffrait autant.

Si son aveu a éclaté aussi abruptement, Noël ne semble pas délivré pour autant. Lorsque l'on arrache un pansement, l'effet brûle notre peau pendant quelques minutes. Je lui laisse le temps de reprendre ses esprits, mais rien ne semble vouloir l'apaiser. La douleur persiste bien plus lorsque la plaie n'est pas refermée.

Noël presse toujours ma main droite contre son épaule. Il la serre si fort que je pense un instant devenir une partie de lui. Mon autre main vient se poser maladroitement sur son genou. De quelle autre façon suis-je censée réagir ? Quelle lumière serait assez éblouissante pour éteindre ses larmes ? Quelle odeur serait assez rassurante pour anesthésier son corps tremblotant ? Quels mots seraient assez éloquents pour apaiser sa voix.

Noël ne me laisse pas le temps de répondre à ces questions, il poursuit :

_ Je viens vraiment de plomber l'ambiance.

_ Non. Je ne sais juste pas quoi dire. Je ne comprends pas.

L'homme essuie ses larmes d'un revers de la manche et prend une grande inspiration.

_ « L'année de mes vingt-deux ans, j'ai commencé à ressentir des changements chez moi. Fatigue chronique, palpitations importantes, essoufflement rapide, prise de poids malgré ma perte d'appétit. Je ne m'en inquiétais pas plus que ça au début, je me disais que c'était sûrement dû au stress des examens. Je n'ai jamais été du genre hypocondriaque, au contraire mon insouciance a toujours inquiété mes parents. J'avais déjà loupé ma première année de lycée, je ne pouvais pas me permettre de prendre plus de retard, alors au lieu d'aller voir un médecin, j'ai préféré me doper aux médicaments et à la caféine.

» Un jour, en cours d'anglais, j'ai commencé à me sentir nauséeux et fébrile. Ma tête tournait de plus en plus, mon corps me lâchait à mesure que j'angoissais. J'avais déjà fait des petits malaises, mais cette fois-ci, il était beaucoup plus important. Je me suis laissé tomber dans les escaliers de l'amphithéâtre. Mon père est prof à l'université, alors il a fini par l'apprendre et m'emmener de force chez le médecin. Je ne comprenais pas pourquoi, ce n'était qu'une chute de tension.

» Finalement le verdict est tombé : insuffisance cardiaque. Je n'ai plus de souvenir de la consultation après ça. Je sais juste que mon père a hurlé sur le pauvre cardiologue. On a fini par l'annoncer à ma mère et j'ai préféré préserver ma sœur. Malheureusement, ce n'est aussi facile à cacher.

» Au début, ça n'était que bénin ou du moins vivable. Je devais simplement réguler ma façon de vivre : manger sainement, arrêter de fumer et diminuer ma consommation d'alcool. Ce n'était vraiment pas simple. Je me suis vite senti fliqué de partout, par mes parents, ma sœur, certains de mes amis. D'autres m'entraînaient à boire plus que nécessaire. Je me cachais pour fumer mes clopes. Ce n'était pas une vie et pourtant c'était la mienne. J'ai fini par sombrer, par devenir agressif... violent. »

Noël marque un silence en détournant la tête. J'entends la voix de ses larmes s'immiscer dans la sienne. Je sais qu'il a besoin de parler, mais le voir dans cet état me retourne l'estomac. J'aimerais le prendre dans mes bras, ressentir ne serait-ce qu'une once de joie pour la lui offrir. Ses paroles me paralysent, je suis incapable d'imaginer ce qui est pourtant son histoire.

L'Etincelle { Noël }Où les histoires vivent. Découvrez maintenant