| Chapitre 6 |

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À l'intérieur du salon des Phillips, mon regard vagabond un peu partout dans le désir de connaître plus en profondeur l'homme à qui je vais ôter la vie. Exactement comme il l'a fait avec bon nombre d'innocents avant et ainsi qu'après moi. Ce même homme qui a choisi de manipuler un pauvre petit garçon inconscient du rôle important qu'il allait jouer, que j'ai joué à la perfection sans arrière-pensées. Depuis lors, mon erreur pèse de plus en plus lourdement sur mes épaules. Une leçon amère de la Lune, du prix qu'elle me fait payer et me fera payer jusqu'à la toute fin.

Je marque un temps d'arrêt devant la cheminée aménagée, l'intérêt orienté vers ce cadre photo montrant une famille soi-disant aimante. Ce moment est presque théâtral entre nous, presque ironique. Ma meute a entièrement péri par la faute de son groupe d'amis et j'y ai survécu pour le retrouver des années plus tard et le tuer à son tour. Quelque part, je suis persuadé qu'il s'était mis à m'attendre en apprenant au fur et à mesure la disparition de ses associés. Néanmoins, visiblement, sa garde s'est abaissée. Red Moon aura retardé sa mise à mort, lui offrant des années de vie supplémentaires qu'il ne mérite pas.

Toutefois, préparé, je le suis. Plus que nécessaire, c'est on ne peut plus sûr. Alors pourquoi ? Pourquoi je sens mon cœur s'affoler à l'idée de le rencontrer ? Avec ce putain de sentiment dérangeant d'avoir de nouveau quatorze ans, d'être attendu à la maison après avoir achevé cette stupide liste immortelle ? Le pire dans tout ça ? Je n'ai plus de maison. Elle m'a été retirée du jour au lendemain. Plus de foyer chaleureux, plus d'odeurs familières, plus d'amour et de ce sentiment si précieux qu'est de se sentir en sécurité. Et ça me laisse un goût amer en bouche, acide et douloureux. Un putain de goût de vide. Cette maison me montre tout ce que je n'aurais jamais plus.

Ma main saisit brusquement le cadre et l'envoie valser à l'autre bout de la pièce sous un élan de colère. Son choc contre le mur répand des bouts de verre sur le parquet vernis mais ça ne me procure aucune satisfaction. J'inspire longuement et expire en passant une main dans mes cheveux noirs tandis que mon regard tombe sur le miroir à ma gauche. Féroces, pleines de rage, mes prunelles me ramènent à l'instant présent. Figé, je les dévisage.

« Je le vois dans ton regard. Cette flamme dans tes yeux. Étouffée mais pourtant bien présente, encore brûlante juste ici. »

Ma bouche s'entrouvre afin d'abandonner la respiration que j'ai indirectement retenue à cette vision. Mes sourcils se froncent, mon cœur bat plus calmement.

« Plus qu'un survivant, tu es un combattant. »

Peut-être qu'elle est encore là, oui, à vouloir reprendre pleinement vie. Il n'en est pas question, cependant. Aujourd'hui, j'en finis avec tout ça.

Mon attention dérive sur l'extérieur et sonde au-delà des fenêtres la jeep où se trouve Séraphine. Son foyer n'est pas ce qui semble être. Et s'il y a encore une personne qui a la chance de découvrir ce qu'est un cocon familial, c'est bien elle. Je ne suis pas désolé pour ce que je compte faire, pas plus que le fait d'avoir une millième fois du sang sur les mains. Ce serait mentir que de dire que je fais ça pour elle. Pour ça, je reste un éternel égoïste. En revanche, si ça peut les sortir de la misère, ce sera en effet un mal pour un bien. Je préfère largement ça à ce qu'elle se retrouve obligée de commettre un acte impardonnable qui la hantera à jamais. Phillips a beau être un fils de pute, ça reste son père.

En toute tranquillité, je rassemble les bouts de verre à l'aide d'une balayette et pars les jeter dans la poubelle de la cuisine. Comme si j'étais chez moi, je me sers une coupe de champagne tout droit sortie de sa cave à vin et m'installe près de la cheminée une fois allumée. Les chevilles croisées l'une contre l'autre, je surveille ma montre et observe d'un œil plus tempéré la photo de famille. Les sourires sont tellement bien faits que leur bonheur paraît réel. L'envers du décor est bien plus réaliste et cruel. Il l'est toujours. Un bâtard comme lui le reste à jamais, qu'il ait une femme, un enfant, n'y changera rien.

Cœur Obscur [Tome 2]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant