Cœur Obscur [Tome 2]

| Chapitre 18 |

Nous y sommes.

La porte de la chambre d'hôtel s'écarte, comme l'aurait fait l'ouverture d'un vieux livre. De ce livre que je n'ai plus touché depuis des années. Il faut croire que l'appel de la vengeance, de ce pourquoi j'ai été créé, a été plus fort que je n'aurais pu l'être. Les projets que la Lune a prévu pour moi l'ont été, aussi sûrement que le sont mes traumatismes d'enfance.

Impitoyables, cauchemardesques et douloureux.

Mon usurpateur avait raison. Je ne connaîtrai jamais le répit sans avoir accompli ce désir, puissant et dévastateur, de châtiment. Sans avoir achevé ma liste, entièrement et sans survivants. Aucun. Les Hayes sévissent et ils continueront impunément si personne ne les arrête. J'ai essayé, par deux fois. J'ai combattu avec acharnement sans me soucier du lendemain, de ce qui adviendrait de moi. J'ai flirté au plus près de la faucheuse, de la mort. Mais je suis toujours là.

Les années ont passées, m'offrant cette illusion de bonheur que j'ai pu expérimenter et savourer autant que je l'ai pu au-delà de ma peur vorace de tout perdre un beau jour. Et ce jour a failli frapper à ma porte, une fois de plus. Pas cette fois, cependant.

Le seul que je peux perdre désormais ne se résume qu'à une seule et même personne : Lincoln. Ce fou furieux insupportable. Ce connard. Mais je ne peux me résoudre à cette éventualité. À cet enfer de voir la moitié de mon âme disparaître sous mes yeux, quand bien même je ne la veux pas et la repousse sans cesse.

Je ne peux que me complaire dans ma perdition prochaine. Je ne peux que me satisfaire de savoir qu'il sera bientôt en sécurité. Et je ne peux qu'espérer avoir le temps de finir mon tout premier livre dans cette course intraitable contre la montre.

Donc pourquoi ? Pourquoi mon cœur s'emballe de peur et d'incertitude alors que je franchis le seuil de la porte ? N'est-ce pas là où je dois aller ? Tout me le dit, tout me guide vers cette finalité. Le passé ne l'a jamais été pour moi, tout compte fait. Alors pourquoi ? Une pression se joint au creux de ma paume et apaise, rien que par elle, l'afflux nocive de toutes ces pensées.

Mon regard s'abaisse et observe la main de Lincoln, entrelacée à la mienne. Et si je m'attends à croiser un regard railleur et provocateur pour ce contact, je ne rencontre qu'une expression sérieuse.

Il m'a encore vu.

M'a encore senti.

— Je suis là.

Je bats des paupières. Puis rapidement, je me reprends et me dégage de son soutien. Ce qu'il ne se formalise aucunement.

— Eh les amoureux, ce n'est pas le moment de nous faire une scène de ménage, intervient Cora, juste derrière nous.

— Amoureux ? joue Lincoln, bien trop satisfait pour que ça ne transparaisse pas dans sa voix.

— Nous ne sommes pas là pour faire mumuse, Lincoln, ne puis-je m'empêcher de grogner.

— Évidemment, mon cœur. On est là pour faire mumuse avec les Hayes. Pas vrai ? lance-t-il aux trois têtes à claques.

Cora le lorgne d'un air mi ennuyé mi désespéré. Finalement, elle pivote vers Aila et Akram.

— Sérieux, vous êtes sûr qu'on le prend lui aussi ? Déjà que Jasper est un sombre connard, un deuxième, franchement ce n'est pas cool.

— Oui Cora, on les prend tous les deux, pouffe Aila.

Son allure paraît bien plus apaisée et tranquille que lors de notre dernière rencontre. Et je ne peux que me faire la même remarque concernant les deux autres. Ils ont l'air parfaitement bien dans leurs baskets.