Chapitre 2.1 : entretient piégé.

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 Lao Iwasagi jeta furieusement le journal du jour sur son bureau. Il avait l'impression qu'à force de tirer sur ses cheveux de nervosité, ils se détachaient tous mèche par mèche de sa tête. Il n'en croyait pas ses yeux : après des années à le soutenir, voilà que la presse se rangeait du côté d'une jeune et incompétente politique qui criait son indignation sur tous les toits !

Il se rassura en se disant qu'en face à face, cette Emma Winds ne ferait sans doute pas le poids. Il avait des années d'expériences de congrès, d'allocutions et de discours de remerciements et savait retourner chaque situation à son avantage. Elle ne risquait pas de prendre sa place. Il soupira et croisa son regard bleu-gris dans la baie vitrée, s'exhortant au calme. Il devait reprendre son sang-froid, remettre un peu d'ordre dans sa tenue et faire entrer la journaliste qui patientait de l'autre côté de sa porte.

En passant sa main dans ses cheveux bruns fragilisés par ses crises de nerfs, Lao ordonna qu'on ouvre la porte. Il s'assit dans son fauteuil en velours rouge, derrière son bureau. Il avait choisit une heure plutôt matinale pour que les rayons du soleil soient dans son dos et que l'impression de puissance qu'il renvoyait était plus grande encore qu'à l'accoutumée. En plus, il démontrait ainsi que lui aussi pouvait se lever le matin. Le tout était de prouver à ses concitoyens qu'il n'avait pas besoin de crier pour proposer des solutions durables et beaucoup plus rationnelles.

Une jeune journaliste entra dans la salle. Elle avait un léger sourire aux lèvres, la main dans son sac en bandoulière. Elle portait un chemisier blanc et une jupe droite noire avec des collants et des talons noirs. Elle avait réussit à mettre en valeur son visage en l'encadrant de ses lourds cheveux roux. Lorsque ses yeux perçants marron croisèrent le regard glacé de leur président, son assurance flancha légèrement. Lao savait que la première impression était primordiale dans son milieux. En se posant en chef de la citée humaine, il savait qu'il marquerait des points.

-Mademoiselle Garan, la salua-t-il poliment. Bienvenu. Prenez place, s'il-vous-plaît.

La jeune femme déglutit mais enclencha quand même l'enregistreur dans son sac à main. La détermination dans ses yeux revint comme une flamme et elle s'assit sur l'un des deux sièges devant le bureau.

-Monsieur le président, articula-t-elle en remettant une mèche de cheveux derrière son oreille. Nous pouvons commencer ?

-Je vous en prie. Je n'ai pas beaucoup de temps, ce matin.

Il avait une voix assuré et presque sympathique. La jeune femme s'y laissa prendre et commença sans plus tarder l'interrogatoire journalistique auquel il était confronté au moins une fois par semaine ces derniers temps.

-Vous avez une réponse à apporter aux accusations du parti d'Emma Winds sur votre politique sanglante et tyrannique auprès des proies ?

Lao resta de marbre. Il savait que la question écrite dans le journal serait sans doute du genre « comment justifiez-vous le massacre de la place centrale ? » et décida de répondre en conséquence. Les questions journalistiques étaient toujours tournées de sorte à ce qu'il sorte des informations plus que d'autres et ainsi fasse monter les ventes du journal.

-Comme je l'ai déjà expliqué, dit-il d'une voix posée, la milice n'avait pas la permission de frapper les proies sur la place centrale. Il est évident que même s'ils sont hybrides, ces gens font partie de notre Ville et qu'il était irresponsable de ma part de demander à ce qu'on leur fasse du mal. Ces proies étaient le fruit de plusieurs années de travail de la part de certains citoyens et de moi-même pour les intégrer dans la Ville, en les aidant à se normaliser aux lois humaines et en remplissant les papiers administratifs à leur place. Plusieurs entreprises travaillent jour et nuit pour pouvoir les sauver des bas-quartiers et de la Jungle, et jamais aucune proie n'a posée le moindre problème dans notre Ville.

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