Part 8

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Rue passa la nuit allongée sur le fauteuil Relax à osciller entre regarder Fez dormir et regarder les boîtes de médicaments. A sept heures du matin, elle sortit marcher dans les rues de la ville. A cette heure-là, Sacramento bouillonnait. Les parents déposaient leurs enfants à la garderie, les jeunes actifs se bousculaient dans le tramway, on faisait la queue à Starbucks pour commander un café. Le jour pointait le bout de son nez et Rue voulait se sentir connectée au monde qui l'entourait. Avant de replonger, c'était une des choses qu'elle faisait quand elle se sentait partir : elle sortait, marchait et observait. Étonnamment, ça l'apaisait, ça lui rappelait que la planète continuait à tourner, qu'elle n'était pas seule. Elle aimait remarquer les petites manies de chacuns, voir les enfants se disputer, les parents débordés, les dog-walkers tenter de ne pas laisser les laisses de leurs chiens s'emmêler. Elle dévisageait les hommes d'affaires qui se considéraient avec trop d'importance, elle pensait à leurs femmes qui étaient certainement déjà au lit avec leur jardinier ou leur professeur de tennis. Inventer une vie aux autres la rassurait sur la sienne.

Ca faisait longtemps qu'elle n'avait pas ressenti le besoin de faire ça et pendant quelques minutes, elle se sentit presque bien. Puis le visage ensanglanté de Fez, les armes entassées dans ce sac noir et les yeux démoniaques de Mouse revinrent.

À huit heures, elle acheta deux cafés et une boîte de donuts et rentra. Fez était réveillé. Il se tenait difficilement debout, devant le miroir de la salle de bain, torse nu contemplant le nombre de bleus sur ses côtes. Il ne vit pas Rue tout de suite et elle pu l'observer comme elle l'avait fait avec les passants. C'était la première fois qu'elle le voyait sans t-shirt et ça lui fit quelque chose. Elle essaya de ne pas y penser et se focalisa sur les marques qu'elle voyait sur son dos. Certaines dataient de la veille mais d'autres étaient plus anciennes. Profondes. Des cicatrices qu'il garderait probablement à vie. Elle savait que son enfance n'avait pas été facile et qu'avant que ses parents meurent, sa grand-mère l'élevait déjà. Elle savait que c'était parce qu'il était en danger dans sa propre famille. Elle le savait mais elle ne l'avait jamais constaté. Elle repensa à toutes les fois où elle s'était plaint de sa mère et se trouva ridicule.

Il s'aperçut finalement de sa présence et elle détourna les yeux pendant qu'il s'habillait.

"J'ai ramené le petit-déj...

- C'est sympa. T'as dormi ?

- Pas vraiment.

- Rue écoute, ce sac tu vas pas le garder. Je vais le reprendre, je vais le ramener à Mouse. Je vais me débrouiller.

- Quoi ? Mais Fez, il va te buter.

- Non. Il a besoin d'Ash et moi.

- Tu vas pas rentrer dans cet état !

- Ca va. Les médocs m'ont fait du bien. Je vais me débrouiller je te dis. Je veux pas que tu sois mêlée à ça.

- C'est un peu trop tard là.

- ...

- Tu vas rester ici. Au moins le temps de te remettre. Tu peux à peine marcher.

- Mais tu peux pas garder ces armes.

- Si je peux... je peux les garder le temps qu'on trouve une solution. Ils viendront les chercher pour les livrer ensuite. On risque pas grand-chose de toute façon. Enfin, je veux dire, on risque plus à pas le faire.

- Rue...

- Je suis grande Fez. Ils m'ont foutu ça sur le dos, c'est ma responsabilité, pas la tienne. Si t'avais pas été là, Ash aurait quand même eu l'idée non ? Ça va aller. Mange un peu."

Elle montra l'exemple en mordant goulument dans un donut qu'elle engloutit en entier, se mit du sucre glace sur le nez et son discours sur son âge adulte perdit toute crédibilité.

Euphoria : LibertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant