Part 4

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La veille de la rentrée, Rue prit la route pour Sacramento. L'année auparavant, elle avait loué un appartement avec Jules, comme elles en avaient tant parlé. Rue pensait que ce changement serait un renouveau après une année de terminale chaotique. Jules avait été accusée de faux témoignage et d'exhibition sexuelle par les Jacobs, le procès avait duré des mois et l'issue n'avait pas été bonne. Elle écopa d'un bracelet électronique et d'un casier judiciaire qui lui ferma les portes de toutes les universités qu'elle avait demandé. Rue n'avait pas supporté la pression de la ville et était retombée dans ses addictions, détruisant les espoirs de sa mère et nombre de ses amitiés au passage. En septembre, après un deuxième séjour en rehab, elle voulait reprendre les choses en main et cet emménagement représentait un nouveau départ.

Mais Jules avait probablement enduré trop d'épreuves et se laissait envahir par la dépression, passant des journées entières dans le noir. Rue, fit de son mieux pour l'aider à remonter la pente tout en se battant elle aussi contre ses propres démons mais, comme c'était prévisible, elle échoua. En février, sans grande surprise, elle retrouva un mot sur la table de la cuisine qui disait simplement "Pardonne moi".

Rue fit de son mieux pour résister à la tentation de se remplir de toutes sortes de substances qui combleraient le vide que Jules avait laissé. Elle passa deux jours entiers dans le noir sans rien prendre, ni drogue, ni nourriture, ni eau. Gia vint passer le week-end chez elle et la convainquit de se reprendre. Elle le fit une semaine puis la tristesse la submergea une nouvelle fois. Elle entreprit de faire quelque chose qui ait du sens et qui lui fasse passer le temps. Elle se mit à cuisiner des kilos de nourriture, elle en fit pour sa semaine, puis pour en congeler. Elle en donna à sa voisine Madame Steinberg qui vivait seule et semblait plus triste encore qu'elle et Jules réunies. Elle rangea son appartement de font en comble, jeta tout ce qui appartenait à Jules, fit la poussière, cira les quelques meubles qui étaient là. L'appartement n'était que d'une seule pièce, il y avait une kitchenette juste à côté de l'entrée, une table de cuisine qui faisait aussi bureau au milieu de l'espace et un lit queen size qui prenait presque toute la place. Il y avait aussi un fauteuil Relax hérité de l'ancien propriétaire qui semblait prêt à s'effondrer et qui sentait le chien mouillé. Sa dernière tentative pour rester sobre fut de rénover ce vieux fauteuil.

Elle passa des heures à regarder des vidéos expliquant comment démonter et remonter le mécanisme du dossier et de relevage des jambes d'un fauteuil. Elle se procura des outils à la quincaillerie du quartier où le propriétaire la regarda comme si elle était folle à liée, puis elle vissa, graissa et souda les pièces de la bête. Une fois que le gros du travail fut achevé, elle raccommoda quelques trous, aspira chaque recoin de son œuvre et lui fit un shampouinage efficace. Elle apprécia particulièrement le moment où elle pu s'affaler dedans et se retrouver allongée les pieds presque plus hauts que la tête. Elle songea même à faire carrière dans la rénovation de meubles délaissés. Après tout, elle avait plus en commun avec ce vieux fauteuil qu'avec certains êtres humains.

Mais une fois ces activités passées, elle en revenait toujours au même point. Cette solitude, ce sentiment d'être minuscule, inutile, de n'avoir aucun pouvoir sur les choses. Elle craqua au moment des examens de fin d'année. La pression d'échouer combinée à son mal être était trop. Elle voulait planer. Retrouver cette impression de légèreté. S'évader dans un monde qu'elle maîtrisait.

Euphoria : LibertéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant